Bureau de l'ambassadeur

Alors que le poste d'ambassadeur pryan au Fantispa avait à l'origine tout de la bonne planque, Marc apprit à ses dépends qu'il n'en était rien. La rancoeur de certains était manifeste. Pis encore, elle était difficile à comprendre.

- Monsieur, j'ai quelques citoyens et entrepreneurs pryans qui s'inquiètent depuis l'annonce du Parlement concernant la demande de suspension du traité.
- Ils ne sont pas les seuls ...
- Vous voulez que je leur réponde ça ?
- Évidemment que non.
- Je leur réponds quoi, alors ?
- Rien. Qu'ils se tiennent au communiqué qui a été publié il y a quelques minutes, pour l'instant.
- Et pour Ruffin, on fait quoi ?
- Si je le savais ... J'ai essayé de lui parler lors du dîner, mais impossible d'engager un semblant de conversation. Je n'arrive pas à comprendre ce qu'il cherche réellement et ce qui le motive.
- C'est peut-être le pognon qui le motive, non ?

Marc était dubitatif. Tod avait plus à gagner en commerçant avec Prya qu'en fermant les frontières. Les fantispais d'une façon générale avaient tout à perdre à fermer les relations avec Prya, en témoignent les nombreuses commandes notamment dans le secteur énergétique de ces dernières semaines ... Peut-être Tod était-il prêt à faire passer l'intérêt de ses concitoyens au second plan en attendant que ses entreprises et les entreprises d'Etat soient en mesure de répondre aux besoins nationaux ...

- J'ai peur que ce ne soit pas que le pognon qui le motive. C'est bien dommage. Une petite valise diplomatique, quelques billets, et le tour était joué.
- Comment le corrompre, alors ?
- Pfff, si seulement je savais ... On s'entend bien pourtant, mais là, je dois avouer que je n'arrive plus à le suivre. Je crois que c'est la rancoeur qui le fait agir.
- La rancoeur ?
- Mouais. Il a pas l'air de pouvoir piffrer Arthur.  C'est vrai que c'est un bonhomme spécial et que je suis content qu'il soit de mon côté plutôt qu'en face, mais le type est pas bien méchant ... si on met de côté ses remarques acerbes ... et son caractère hautain ... et méprisant ... et insultant.
- Vous voulez qu'on demande à Monsieur Duvalon de présenter ses excuses, alors ?
- Je préfère encore rompre les relations avec Fantispa que de lui demander une telle chose, s'amusa Marc.
- Que fait-on alors ?
- J'en sais rien. On attend. Et on lui envoie quelques bouteilles et une invitation à venir se reposer au Kaora Palace Hôtel. Peut-être qu'une cure et une semaine de spa lui feront du bien. Et on prie. Et on prépare quand même une valise, sait-on jamais. Peut-être va-t-il falloir graisser la patte de certaines députés. Si c'est le cas, je veux qu'on soit prêt.

Une journée à la noix. Heureusement que le Club Sportif Zantave avait remporté son match de football ... De quoi égayer la journée de Marc, trop préoccupé par les tensions avec la Principauté pour en profiter pleinement. Avant qu'un employé de l'ambassade ne vienne frapper à sa porte.

- Monsieur, vous avez reçu un courrier de Tod Ruffin.
- Hmm ... Vous l'avez ouvert ?
- Oui.
- Enervé ?
- On peut dire ça comme ça.
- Pire ?
- Pire.

Marc prit connaissance du courrier de Tod. Le ton, si chaleureux et amical d'il y a quelques jours, appartenait déjà au passé. Tod accusait Marc d'ingérence dans les affaires fantispaises. Drôle de vision du métier d'ambassadeur. Une vision pour le moins différente de celle de Tiverre.

- Je suis embêté.
- Ah ?
- Moui. Soit je lui réponds, et alors on continue dans ce discours de sourd et dans cette escalade des tensions.
- Soit ...
- Soit je le laisser persister dans sa voix et risque alors de voir le Parlement voter la suspension du traité.
- Vous pensez vraiment que les députés vont considérer une telle suspension ?
- Je n'imaginais pas que Tod puisse la proposer. Je ne les imagine pas la voter, je ne l'espère évidemment pas, mais je ne peux pas non plus rejeter cette éventualité.
- Qu'allez-vous faire, alors ?
- Lui écrire. Vous avez fait partir la caisse de vins et l'invitation pour l'hôtel ?
- Non monsieur, pas encore.
- Bien. Offrez-les plutôt à sa femme alors, Rebecca. Je ne pense pas que cela puisse faire plaisir à Tod. Autant que cela rende quelqu'un heureux.

Ecrire, écrire encore et toujours. L'effet serait surement mince mais Marc ne voulait pas abandonner. Ce malentendu ne devait perdurer.

Citation :

Bonsoir Tod,

Je me permets de vous écrire en réponse à votre précédente lettre. Considérez le précédent communiqué comme un communiqué officiel de l'ambassadeur pryan à destination des Fantispais. N'y voyez là aucune ingérence, simplement la manifestation du travail d'ambassadeur. En cette qualité, je n'ai d'autre objectif que le maintien des excellentes relations liant la Principauté et la République.

Permettez-moi, Tod, de vous indiquer qu'il n'a jamais été mentionné que vous agissiez de la sorte dans votre "intérêt personnel". Il m'est simplement venu à l'esprit que votre ressentiment à l'égard de Monsieur Duvalon n'était pas de nature à vous apaiser et pouvait être une motivation supplémentaire à votre action, en témoigne le dîner organisé à l'ambassade il y a peu et vos propos à l'égard de la dépêche publiée par l'APP. Un dîner que vous avez, là encore semble-t-il, perçu comme une ingérence dans vos affaires quand il ne s'agissait que d'une rencontre purement diplomatique. Je suis à cet égard surpris que vous me refusiez le soin et le rôle de défendre les intérêts de mon pays. Nous vous avons exposé, dans la plus parfaite des intimités, notre point de vue sur un pan de votre législation qui nous semble préjudiciable non seulement pour nous, mais également pour vous. Vous nous avez exposé un point de vue contraire, à votre façon et nous en sommes restés là. Aucun signe d'ingérence mais simplement la manifestation d'un intérêt. Manifestation cavalière à vos yeux, je l'ai bien compris. Aussi permettez-moi de m'excuser si ce dîner et ces propos vous ont offusqué. Là n'était pas l'objectif.

Je suis intiment convaincu et persuadé qu'il ne saurait y avoir de relations diplomatiques sans honnêteté et dialogue. Sans vous mettre en garde des risques juridiques élevés par certains ressortissants pryans, j'aurais failli à ma tâche d'ambassadeur.

Je suis également convaincu, et j'espère que votre assemblée partage mon point de vue, que cette relation de confiance n'a été cassée qu'entre vous et certaines personnes mais aucunement entre les deux pays dans leur intégralité. Enfin et s'il est loisible au Parlement fantispais de se prononcer sur la suspension du traité, ne voyez pas ma proposition d'échanger avec certaines représentants, comme une ingérence. Il s'agit là de leur offrir la plus parfaite information afin qu'ils prennent une décision fondée sur des faits concrets et surtout contradictoires (sans doute s'agit-il là d'une déformation professionnelle).

J'espère que nous parviendrons aussi rapidement que possible à gommer ces différends qui n'ont, à mes yeux, pas lieu d'être.

En espérant avoir l'occasion d'échanger et de vous rencontrer à nouveau rapidement,

Amitiés,

Marc

- Vous pensez que ça va suffit, Monsieur ?
- Je n'en sais rien. Probablement pas. Probablement que cette lettre ne va rien changer. Peut-être ne la lira-t-elle même pas ... Nous verrons bien. J'espère au moins que sa femme profitera de l'invitation au Palace. Il paraît que c'est une femme charmante et je serai heureux de pouvoir la rencontrer.

- Vous m'avez appelé Monsieur ?
- Moui. Essayez de m'arranger un rendez-vous avec un fonctionnaire du Comité de l'Economie ?
- Aaaaah, se réjouit le fonctionnaire. Vous n'abandonnez donc pas face à Tod Ruffin ?
- Pardon ?
- Je voulais dire, vous passez à l'offensive contre sa demande fantaisiste. C'est un bon message passé pour les entrepreneurs.
- Détrompez-vous, ça n'est pas l'objet de ce rendez-vous. Je veux simplement anticiper une éventuelle suspension du traité pour ouvrir mon petit business avant.
- Mais Monsieur, vous n'avez pas peur ...
- Peur de quoi ?!
- Peur du message qu'une telle demande ferait passer ?
- Je ne sais pas trop ... Une telle ouverture serait également un signe fort, celui que le lien de confiance n'est pas si rompue que cela. En ouvrant un hôtel dans le coeur de la Principauté, de surcroît par l'ambassadeur pryan, on montre que la volonté d'investissement demeure et que la confiance en l'avenir des relations entre les deux État est grande.

Beaucoup de vents pour pas grand chose. La motivation première de Marc restait les affaires. Il craignait que le Parlement prenne au sérieux la demande de Tod. Si tel était le cas, il fallait obtenir l'autorisation de créer cet hôtel sans plus tarder.

- Ah au fait.
- Oui Monsieur ?
- Vous avez envoyé les bouteilles et l'invitation à la femme de Tod ?
- Bien sûr.

- Monsieur, la Maison Princière a communiqué.
- Faîtes-moi lire ça ...

Quelques gratouilles sur la tête, quelques soupirs ... Marc avait espéré un autre communiqué que celui-ci. Puis, reprenant à haute voix ...

- "Déçus de la diplomatie pryanne qui consiste à laisser des industriels et des médias critiquer ouvertement la politique économique de la Principauté". Ils sont gonflés.
- Pourquoi cela, Monsieur ?
- Eh bien, ils savent pertinemment que nous n'avons plus d'exécutif puisque Denfell a été destitué. Ils savent que nous avons fait de notre mieux pour nous entretenir avec les parties prenantes et pour calmer les aigreurs de chacun. Et surtout, ils oublient que ni l'ambassadeur, ni l'exécutif n'a le pouvoir de museler la presse.
- Peut-être faudrait-il se l'arroger, ce droit ?
- On ne badine pas avec le droit. Dire qu'ils nous reprochent notre ingérence dans les affaires ainsi que de ne pas censurer les médias. Ils veulent qu'on se couche à leurs pieds, aussi ?
- Vous allez leur dire, ça ? D'ailleurs, vous n'avez toujours pas répondu à Monsieur Ruffin.
- Je crois qu'on va arrêter un peu avec les communiqués. Un Président va être élu d'ici deux jours. On laissera Curlon, ou Coustard si par surprise il parvient à être élu, s'en occuper. En attendant, on joue la montre. Au fait ...
- Oui Monsieur ?
- Vous avez eu une réponse de la femme de Ruffin ?
- Aucune Monsieur.
- D'accord. Merci quand même et prévenez-moi si c'est le cas.