La démarche peu assurée, s’aidant d’une canne, petits pas après petits pas, une vieille dame longeait la rue du savoir à Sorlop. Doucement et précautionneusement, elle rentrait chez elle, un petit sac de commissions à la main. Il devenait difficile de sortir. Cela devenait une aventure pour elle. Une aventure qui n’avait rien d’excitant. Parcourir les 300 mètres, qui séparaient son domicile – un petit studio – et ses commerces de proximité, devenait un acte d’héroïsme tant son arthrose lui faisait souffrir et son équilibre était fragile. Il fallait par ailleurs compter sur les passants qui vous bousculaient sans même se retourner pour s’excuser et qui menaçaient ainsi encore plus son équilibre. Il fallait veiller aux trottoirs en mauvais état, aux vélos qui roulent sur ces mêmes trottoirs, aux enfants qui ne regardent pas trop où ils vont. Bref, la sortie bi-hebdomadaire était devenue un supplice.
Alors lorsqu’elle a vu, vendredi, de sa fenêtre ses acharnés, ses excités défilés en gueulant à qui mieux-mieux des slogans anti-monarchiques, elle eut envie de leur jeter un seau d’eau froide sur la tête. N’avaient-ils pas d’autres préoccupations ces agités du bocal qu’à brailler des idioties. Elle en avait plus qu’assez de toutes ces manifestations dans la Capitale ; si ce n’était pas pour la faim, c’était contre la pénurie d’énergie. Si ce n’était pas contre la pénurie d’énergie, c’était pour la liberté. Si ce n’était pas pour la liberté, c’était contre l’oppression. « Assez ! Assez ! » criait-elle alors dans son studio. Seul son chat gris l’entendait, il relevait la tête et la regardait se déplacer difficilement de la fenêtre qu’elle venait de refermer jusqu’à sa chaise où elle regarda sa série préférée. Puis, le chat reposait sa tête sur ses pattes, impassibles aux rumeurs montantes des rues.
Heureusement, aujourd'hui, aucune marché, défilé, sit-in, manifestation en vue. C'est pourquoi elle en profitait pour sortir se réapprovisionner. La vieille dame ne reconnaissait plus ce monde où les citoyens ne pensaient qu’à défiler, qu’à se plaindre au lieu de travailler, de prouver leur valeur.