Tod Ruffin, Ministre de l'Intérieur et de la Marine

- Vous vous rendez compte ! Gonranz ! GON-ranz ! pestait Léonard dans le bureau du Comité de l’Intérieur.

- Allez Léonard, ne boudez pas !
- Mais c’est humiliant, vous ne comprenez pas. Dans le décret de nomination, écorchez mon nom, moi, député de la Principauté…
- Et après ?
- Vous auriez aimé que le Prince nomme « M. Puffin » ou « M. Rouffin » au Comité de l’intérieur, vous ? s’emportait de plus belle Goranz.

Tod abordait une mine réjouie et reposée. Voir Léonard touché dans son orgueil à ce point pour un détail l’attendrissait, mais excitait une certaine pointe de joie dans son esprit. Le « fameux » Léonard Goranz dont la cote de popularité taquinait la sienne dans les sondages voyait son nom écorché au sein même de l’administration princière… Une popularité à toute épreuve voulait ironiser Tod. Il s’en abstint, mais affichait cette mine réjouie que Léonard dévisageait avec rage. Le nouveau secrétaire d’Etat encaissait là un camouflet – certes anecdotiques en soi – mais un camouflet qui touchait en plein cœur l’orgueil de Goranz.

- Voyons Léonard. Vous êtes au gouvernement, non ? Ce n’est pas ce que vous vouliez ? Le pouvoir, c’est votre truc, non ? dit Tod en s’asseyant derrière un bureau trop large pour sa petite carrure.
- Ca ne m’est pas désagréable. Mais j’aurais préféré comme me nomme… précisément. Imaginez qu’un certain Léonard Gonranz existe et qu’il vienne réclamer son poste… Parce que c’est bien lui qu’on a nommé après tout !

Tod balaya de la main les propos de son secrétaire d’Etat à la Marine et le congédia.
- Ecoutez Goranz ! J’ai beaucoup de travail qui m’attend. Mon absence durant ces quelques jours à cause de cette foutue rechute de chipstérol n’ont fait qu’aggraver cet amas de travail. Alors je n’ai pas de temps pour vos jérémiades

Soudain, la sérénité refit en partie son apparition sur les traits du visage de Léonard. Il affichait un imperceptible sourire.
- Il est vrai que votre… longue absence de ces derniers jours ont paralysé le Comité…

Léonard laissa flotter ses paroles et prit le chemin de la sortie. Il lança un dernier coup d’œil à Tod qui le scrutait. Goranz pouvait lire dans les yeux de son patron un aveu de défi qui aurait pu se matérialiser par les mots : « Viens-y donc mon bonhomme ! ». Goranz, toujours animé par un orgueil douloureux, n’y répondit pas.

Depuis sa nomination au gouvernement le 23 mars dernier, Tod n’avait pas eu le temps de s’adresser ni aux fantispais, ni aux membres de son parti et très peu aux députés RPR. La chipstérol contractée récemment et qui l’avait cloué au lit, menacé par des médecins qui lui prédisaient le pire s’il ne suivait à la lettre leurs instructions, Tod avait dû laisser le travail s’accumuler sur son bureau. Heureusement, son énergie et son enthsousiasme débordant ces dernières heures avaient permis d’abattre un travail important. La première étape de son travail visait à donner à Tétaou un plan de ville. Les travaux en question avançaient bien et les deux tiers du plan étaient déjà défini. Il restait à finaliser le dernier tiers qui devrait prendre plusieurs jours. Puis, Tod devrait présenter au Conseil des Ministre le plan en question pour qu’il soit valider par le Premier Ministre.

Le Ministre de l’Intérieur sortit de sa poche un long cigare et le huma. Il ne fumait pas, mais bizarrement, il aimait l’odeur si particulière s’échappant de ces « boudins de tabac ». Il possédait celui-ci depuis plusieurs semaines et son odeur persistait malgré tout. Il le rangea et se demanda soudainement si Julio fumait. Il le connaissait assez bien et ignorait pourtant cette information anodine aux conséquences qui l’étaient si peu, anodines. Il réalisa alors que Julio et lui n’avait plus partagé le moindre moment de convivialité depuis des lustres. Le Ministre se frotta le menton et décida qu’il devrait mettre fin à cette anomalie. Mais pour l’heure, Julio et lui avaient bien du pain sur la planche…

Depuis la fin des élections, Eva Zhyon qui s’était donnée sans compter durant cette bataille avait pris quelques jours de repos. Dès son retour en ville, un coup de téléphone l’avertit que son « poulain » l’attendait au Ministère de l’Intérieur et de la Marine. Il ne faisait guère de doute pour elle qu’il allait à nouveau la solliciter ; il n’avait jamais caché sa satisfaction et louait la qualité de son travail.

C’est donc l’esprit serein et détendu qu’elle se présentait au bureau de Tod. En entrant, il l’accueillit chaleureusement et l’embrassa amicalement.
- Tu as bonne mine Eva. Ces vacances t’ont visiblement fait du bien.
- Oh oui ! J’en avais besoin. Il faut dire que travailler à tes côtés n’est pas une sinécure, dit-elle en riant.

Ils avaient affiné leur relation et se sentaient plus proches. Leurs nombreux échanges les avaient amenés à se tutoyer. Tod prit place derrière son bureau et Eva savait que généralement cela était le signal où il reprenait le sens du travail.
- Pourquoi m’as-tu fais venir ?
- Depuis ma nomination, je n’ai plus une minute à moi. Tu verrais la tête de Becky quand je rentre tard le soir… Heureusement qu’elle est députée et qu'elle a donc un peu de noix de coco supplémentaire sur la planche. Bref, tout ce travail au Comité m’empêche de sortir d’ici, de ces murs. Je me coupe de tout, du terrain, des activités extra-politique… Je pense qu’il faut revoir l’organisation du travail au sein même du Comité pour me permettre d'avoir un contact non seulement avec les citoyens, mais aussi avec les militants du RPR.

Un jeune homme, très élégamment habillé, frappa à la porte et s’introduisit dans la pièce. Il tendit comme chaque jour à son patron le courrier, tant interne qu’externe. Il y retrouverait des notes de ses collaborateurs, de la police princière, de la DGRF, des services d’autres Comités… Bref, il avait appris à comprendre comment fonctionnait une telle institution. Pourtant, il se sentait encore perdu dans ce labyrinthe administratif.
- Merci… heu… Non, ne dîtes rien… Joseph ?
- Joshua Monsieur.
- Joshua, je l’savais, je l’savais. Merci Joshua.

Le jeune sorti, Tod reprit son explication :
- Tu as su, durant la campagne, diriger l’équipe et tu as su trouver un équilibre entre mes… humeurs et les nécessités. Je veux que tu sois ma directrice de cabinet. Tout devra passer par toi, je veux ton avis sur tout ce qui se fera au sein de ce Comité.
- Je ne sais pas, c’est une lourde responsabilité…
- Oh, arrête Eva ! Ne te fais pas prier, la coupa-t-il en commençant à ouvrir une première lettre.
- Je ne compte pas rester éternellement dans le monde politique, cela demande beaucoup trop d’énergie, surtout à mon niveau.
- Quoi ? Tu veux un secrétaire ? dit-il en jetant sur le côté la lettre et en ouvrant une autre.
- Ca pourrait être utile, c’est vrai. Mais organiser les réunions, les déplacements, les discours… Je ne sais pas si ça me tente sur le long terme.
- Alors, un secrétaire… mignon ? Très mignon ? Ca t’irai ? demanda-t-il en rangeant la seconde lettre qu’il avait à peine parcouru. Il en ouvrit une autre.
- Rah Tod. Bien sûr que non.
- C’est une question d’argent alors ? J’espère que non parce qu’on ne roule pas sur l’or… ronchonna-t-il en ouvrant une autre lettre.
- Non.
- Tiens ? Une lettre de Max Morton.
- Max Morton ? Le Président ? s’étonna-t-elle.
- Non, l’artiste peintre, se moqua Tod.
- Qu’est-ce qu’il dit ?
- Eh, dis-donc ! C’est privé !
- Oh, arrête Tod. Ne te fais pas prier. Tu veux une secrétaire pour la lire ? Une mignonne ? s’amusa Eva.

Il lui jeta un regard amusé et complice.
- Pour résumer, il me félicite et il… il me dit qu’il va me reprendre l’UCP.
- L’UCP, c’est quoi ? Un groupe de Rock ?
- Tu le fais exprès, hein ?… Il propose… hé bien, il propose, ni plus, ni moins, une sorte de partenariat entre l’UCP et le RPR. Ah… et il me parle de la Gazette… Il faut que je lui réponde. Eva, téléphone-moi ce soir par exemple pour me donner ta réponse, ok ?

Eva se leva tout en saisissant son sac à main.
- C’est d’accord.
- A ce soir !
- Non, c’est d’accord pour le poste…
- Je le savais ! J’en étais sûr !

Tod ne pût retenir un nouveau bâillement. C’était la cinquième fois au moins ce matin qu’il manifestait bien malgré lui sa fatigue. Les dossiers étaient tellement nombreux qu’il avait bien des difficultés à consacrer du temps à sa vie de famille. Pourtant, il avait décidé, malgré la fatigue, d’emmener, hier soir, Auguste et Rébecca se promener et profiter des activités proposées sur les places publiques. Auguste avait aimé les tours de manège et la glace à la noix de coco. Rébecca savourait enfin un moment partagé tout les trois, sans voir débouler Eva Zhyon, Caroline Dunoirre ou Léonard Goranz pour solliciter Tod. Une vie normale et douce, reposante même comme ils l’avaient connue durant ces dernières années.

Mais ce matin, Tod en payait les conséquences. Il était éreinté. Eva le dévisageait à chaque fois qu’il écartait la mâchoire pour exprimer sa fatigue. « Continuez, continuez ! » lui disait-il en réponse au brutal silence qui s’installait. Alors Eva reprenait le cheminement du travail qui devait être accompli. Et ils courraient après plusieurs dahus à la fois : la préparation du congrès du RPR prenait un retard fou, l’établissement du réseau de transport quant à lui avançait bien. Mais le problème demi-annoncé par Victoria Brolodina concernant les plans de la ville posait un problème sur l’avancement sur ce dossier. A cela s’ajoutait, les activités externes de Tod qui l’amenait à entretenir des correspondances à l’étranger. Sans compter qu’il devait réfléchir avec l’aide d’Eva à reprendre le dessus au sein même de son parti.

- Il est clair que Léonard va prendre ses distances avec toi. Il sait qu’il a une carte à jouer.
- Si j’étais inquiet à ce sujet, je commence à être serein à ce propos, je commence à avoir des atouts dans ma manche.
- Lesquels Tod ?
- Pour l’instant, Léonard se concentre sur le congrès et tente de rassembler autour de lui… et délaisse ses attributions au Comité… Je compte bien ne pas le rater…
- Méfie-toi, il sait tout ça.
- Et puis, j’ai une arme secrète…
- Laquelle ?
- Surprise ! Tu attendras samedi comme tout le monde.
- Oh, tu ne vas pas recommencer tes petites…
- Oh ! Monte le son !
- Quoi ? Je ne parle pas assez fort ?? Tu dois avoir des soucis auditifs parce que…
- Non, la télé… Monte le son de la télé ! Y’a Julio et Max à la télé !

Ils écoutèrent religieusement la conférence de presse diffusée sur FantTV des deux hommes qui s’exprimaient de Kaora. Tod croisait les bras, alors qu’Eva en profitait pour boire son café noir.

- Hé bien, voilà une bonne chose de faite ! s’exclama Eva. Le signe que Fantispa est de retour sur la scène internationale. Non ? Tu as l’air circonspect.
- Non, non. Mais je me rends compte qu’il n’y a aucune annonce officielle.
- Tu attendais quoi au juste ?
- Rien de précis. Mais… Je pressens qu’ils nous disent pas tout. Il y a des collaborations de prévues sans doute…
- Je ne comprends pas. Tu crois que les discussions ont échoué.
- Non, non. Il n’y avait pas de but précis à cette visite à ma connaissance – hormis le fait de montrer qu’on était de retour. Mais je crois qu’ils nous réserve une surprise. Je les connais les deux loustiques.

Le changement des habitudes du Comité de l’Intérieur par l’action d’Eva Zhyon continuait à se faire ressentir. Aujourd’hui, Tod n’avait pas à se promener dans les rues et à serrer quelques pognes en disant quelques mots gentils. Non. Il n’avait pas non plus à procéder à la visite d’une quelconque structure ou groupe d’individus bien spécifiques. Non. Aujourd’hui, Eva lui avait réservé un exercice pour lequel il se prêtait finalement pour la première fois. Et cet exercice était délicat parce qu’il pouvait éventuellement parasité le discours du gouvernement. Heureusement pour Tod, celui-ci ne communiquait pas tant que ça et ainsi l’exercice de style auquel il allait se frotter ne devrait pas avoir de fâcheuses conséquences. En tout cas, il l’espérait… Parce que Tod avait par de ses doutes à Eva. Il pensait qu’il était un peu présomptueux de se livrer à une allocution. Parce que oui, c’est bien de cela qu’il s’agissait, Eva voulait que Tod s’exprime sur l’action qu’il avait mené et qu’il mènerait au cours des prochaines semaines. Bref, qu’il rende des comptes en somme. Après tout, il était payé et devait s’expliquer sur ses travaux.

C’est bon gré, mal gré que Tod s’était résolu à cette allocution. Il tentait de négocier une intervention relativement courte afin de mettre fin au supplice le plus rapidement possible. Quelle vie était celle qu’il avait embrassée ! Cette vie de politicien où il fallait exister, et pour exister, il fallait s’exhiber régulièrement. Eva lui avait même proposé une courte apparition dans une émission de divertissement où il aurait répondu brièvement à deux-trois questions et aurait poussé la chansonnette sur quelques notes de musique ; « Rien de plus qu’un ou deux couplets » avait assurée Eva. Mais Tod avait refusé catégoriquement. S’expliquer auprès des fantispais passait puisqu’il pensait normal de justifier de son action. Mais faire le pitre sur un plateau de télévision et être ridicule en chantonnant un air connu pour se rendre sympathique… les fantispais ne lui pardonnerait peut être pas ces « écarts ». Alors, Eva cessa d’en parler. Elle gardait malgré tout l’idée en tête.

L’enregistrement de son allocution se ferait dans son bureau du Comité et serait diffusé sur les différents réseaux. On le maquilla outrageusement. L’espace d’un instant, cela lui rappelait les journaux télévisés de la PryaTwo TV qu’il avait présenté un temps ; cette atmosphère de tension qui se crée, les caméras, les fils qui traînent de partout en vous menaçant de vous faire trébucher à la moindre inattention, les micros cachés, les énormes spots de lumière… Cette atmosphère, il la connaissait déjà. Sauf, qu’il ne s’agirait pas d’un direct comme sur la PryaTwo. Pourtant, comme sur la chaîne pryanne, il restait le maître à bord puisqu’il n’y avait pas d’interviewer. Il prononcerait le discours déjà écrit. Point.

Il se cala confortablement sur son fauteuil. On lui fit signe et put débuter enfin son monologue.

Mes chers concitoyens,

Après 35 jours passés à la tête du Comité de l’Intérieur et de la Marine, il est temps pour moi de tracer un premier bilan – certes pas définitif – mais qui permettra à chacun d’entre vous de juger mon action au sein du gouvernement de Julio de Fortia – que je salue par ailleurs pour son ouverture d’esprit.

Parmi les deux grandes missions qui m’ont été confiées, l’une d’elle était compliqué à traîter puisqu’elle ne dépendait pas véritablement de mon Comité, mais plutôt à celui des Affaires Extérieures : la redéfinition des limites géographiques du pays et sa cartographie. Cette définition dépendait de bien des variables, souvent extérieures à Fantispa. Aujourd’hui, notre Principauté retrouve son territoire d’origine avec ses deux provinces – Fanto et Tispana. Cette assise nous donne désormais le champ libre pour réoccuper efficacement le territoire et définir convenablement les éléments cartographiques. Ce travail sera l’une des priorités de mon Comité durant le mois de mai et de juin.

La seconde grande mission visait à instaurer un réseau de transport. Ce travail s’est concentré sur la ville de Tétaou étant donné que c'était, il y a peu de temps encore, le seul territoire sous notre contrôle. Maintenant que notre territoire est clairement rétabli et défini, nous pourrons songer à envisager des réseaux de transports à Sorlop notamment. Mieux, je proposerai au Premier Ministre, des liaisons interurbaines par le biais des voies ferrées. Ce réseau devra éventuellement être rénové et des locomotives devront probablement être acquises.

En attendant, les efforts financier qui seront alloués à mon Comité se concentreront à la mise en place du RTT. Les efforts financiers consentis par le gouvernement de Julio de Fortia sont très conséquents, mais très porteur pour notre économie. J’espère que nos entreprises seront à la hauteur du défi qu’on leur lance.

En outre, j’ai pris l’initiative de procéder à l’établissement d’un registre des citoyens permettant de retrouver l’ensemble des citoyens de la Principauté depuis 2005. Ce travail est là un effort de mémoire auquel je tiens beaucoup.

Enfin, je reste en contact régulier avec la directrice de la DGRF afin d’obtenir le maximum d’assurance de la sécurité de chacun des fantispais. Le désordre qui a régné ces derniers mois n’est pratiquement plus qu’un souvenir. Je n’oublie pas malgré tout les habitants de la province de Fanto dont les besoins sont considérables et qui seront l’objet de mon attention.

Au cours des deux petits mois qu’il nous reste, je me concentrerai donc aux différentes tâches que je vous ai présentées. Croyez bien que je reste investi par la mission de servir mon pays et que je dois à l’expression de votre soutien au mois de mars dernier. Je vous remercie.

Il a du toupet c'lui là de venir à la téloche se vanter d'avoir rien foutu de bon ! J'te mettrai ça en prison moi. En plus, ils ont déprogrammé ma série préférée pour ça : Bikini academy, c'est quand même autre chose !

Les activités du Ministre de l’Intérieur se concentrait essentiellement au travail de cartographie de la ville de Sorlop ; un travail très conséquent et très important pour redonner à la Principauté la fraîcheur et l’innovation qu’elle avait su insuffler par le passé. La nouvelle carte était très proche des anciens plans. Et pour cause : les travaux dans la Capitale avaient été rares ces dernières années.

Si ce travail était indispensable, il ramenait l’action du Ministre, hors des murs du Comité et donc publiquement, à l’expression du néant. Du moins, du néant apparent. En effet, la réforme de la loi régulant la circulation des personnes souhaitée par Tod lui-même prouvait son implication dans l’action de son Comité. En outre, la « disparition » de la directrice de la DGRF avait amené le Ministre à suivre de prêt les dossiers urgents des services de sécurité. Tod avait ainsi décidé d’ouvrir une enquête informative sur cette « disparition » : était-elle voulue ? S’agissait-il d’un simple retrait ? Ou la directrice de la DGRF était-elle la cible d’un enlèvement ou tout autre acte criminel ?

En attendant, un autre dossier occupait l’esprit du locataire du Comité de l’Intérieur. Ce dossier se nommait « Léonard Goranz ». Son Secrétaire d’Etat à la Marine avait été totalement inefficace dans ses fonctions ou plutôt totalement absent. Il fallait éclaircir les choses et en profiter pour l’enfoncer un peu plus. Le dernier Congrès du RPR lui avait été en effet préjudiciable. Tod comptait bien enfoncé le clou. Mais il fallait le faire avec doigté, il ne s’agissait pas tout de même de se tirer une balle dans son propre pied. Ainsi, il avait convoqué Goranz à un rendez-vous privé. Ce dernier – qui disposait d’un bureau au sein des murs du Comité – poireautait depuis vingt-cinq minutes dans le salon d’attente. Sa nervosité était palpable. Goranz, assis dans un large canapé, faisait bouger nerveusement sa jambe et fusillait du regard l’horloge murale dont la trotteuse faisait de son mieux pour le divertir. C'est un huissier - et non Tod comme il le faisait avec les personnalités importantes - qui vint le chercher. L’homme l’accompagna devant le bureau et l’introduit dans le bureau ministériel. Tod ne leva pas les yeux de ses documents pour montrer son désintérêt. Léonard ronchonna d’entrée :
- Il y a un temps où je pouvais entrer ici sans être parqué dans un salon.
- Les choses changent Léonard.
- Je suis votre Secrétaire d’Etat, je vous le rappelle Tod.
- Justement, je commençais à en douter.
- C’est-à-dire ?
- Votre action à ce secrétariat se réduit au néant… Vous n’avez rien à défendre.
- Mon action se situe pas qu’ici, vous le savez.
- Je le sais… Elle se situe au parti… pour construire votre « cercle de soutiens ».
- Tod, vous avez sans doute mal pris que je me présente contre vous lors du dernier congrès, mais je ne dois pas en payer les frais aujourd’hui. Vous avez été élu et je le reconnais.
- Un peu mon neveu que j’ai été élu ! Mais revenons-en à nos dahus… Vous êtes actif au parti et même présent au Parlement pour me mettre dans l’embarras… mais ici, au Comité, vous êtes particulièrement discret. Et c’est peu dire.
- Vous-même, on pourrait avoir l’impression que vous vous la coulez douce… pourtant, vous êtes sur cette foutue cartographie… Vous êtes donc bien placé pour savoir qu’il ne faut pas se fier aux apparences.
- Vous m’en direz tant ! Alors, dîtes-moi donc ce qui accapare tant votre temps…
- Je… je… je travaille sur… sur un projet révolutionnaire.
- Vous m’intriguez, je vous écoute, je suis tout ouïe.
- Il s’agit… de… deeeee… d’interdire la… la pêche.
- D’interdire la pêche ???
- Oui ! Vous voyez que c’est révolutionnaire. C’est la meilleure solution pour protéger le milieu marin.
- Et détruire des centaines d’emplois, de précariser l’activité de nos ports, de nécessité l’importation de poissons, de dynamiter une partie de notre culture et de nous mettre une partie de la population à dos. Vous cherchez quoi Goranz ? Une révolution ?
- …
- Et il vous a fallu tout ce temps pour pondre cette brillante idée ?
- …
- J’attends de vous que vous vous mettiez au travail Goranz. Et je parle de vos fonctions au sein de ce Comité…
- Autre chose Monsieur le Ministre ?
- Non… Ah si. Faîtes-moi le plaisir de changer de cravate. Ce mauve ne vous sied guère.

Goranz se leva, armé d’un regard réprobateur. Tout ce temps perdu à patienter pour se faire remonter les bretelles. Il se retourna en direction de la porte en marmonnant des grossièretés dirigées contre son supérieur direct. Il sortit en faisant claquer la porte, ce qui arrangeait plutôt Tod… Des personnes sauraient ainsi que le Secrétaire d’Etat n’aura pas été à la fête durant ce rendez-vous.

Le temps était venu pour le Ministre de l'Intérieur de communiquer et de rendre compte de l'avancée de ses activités. C'est donc dans son bureau qu'il invita les caméras de télévision pour une intervention courte et efficace - du moins l'espérait-il.

Intervention télévisée du Ministre de l'Intérieur a écrit:

Mes très chers concitoyens,

Alors que j'effectue mon second "mandat" à la tête du Comité de l'Intérieur afin de continuer le travail débuté durant les trois mois précédents, je m'adresse à vous pour vous rendre compte des activités des services du Comité. Durant trois mois, Fantispa a acquis une nouvelle cartographie de la ville de Tétaou et un réseau de transport pour cette même commune.

Aujourd'hui, j'ai l'honneur de vous présenter officiellement le plan de ville de Sorlop qui vient ainsi compléter le nouveau cadastre de la Principauté. Cette concrétisation aura des conséquences intéressantes pour l'ensemble des Comités et notamment celui de l'Economie qui va pouvoir inciter les entreprises à revoir leur infrastructure.

Désormais, les activités du Comité se tournent sur la cartographie nationale et l'établissement des futures circonscriptions du pays. Ce point sera accompagné par la création d'une agence nationale de la statistique. Aucune date de présentation ne peut être communiquée pour le moment, mais j'espère que ce dossier avancera le plus rapidement possible.

Vous le comprenez, je reste comme l'ensemble du gouvernement de Victoria Brolodina - que je remercie de m'avoir fait confiance pour poursuivre le travail débuté - concerné et mobilisé dans le seul but de redonner à Fantispa son lustre d'antan.

Je vous remercie.

"Quel travail impressionnant !" se dit alors John Bol, qui venait d'apprendre la nouvelle.
Ca chôme pas au ministère !

Toute la nuit qui vint durant laquelle Max dormait dans la chambre d'Auguste, Tod tourna sans cesse dans son lit en dormant par intermittence. L'ex-Président de l'EcoDémocratie l'avait intrigué sur cette néo-constitution. Etait-elle vraiment alarmante ? Il faudrait qu'il en ait le coeur net dès le lendemain. C'est la raison pour laquelle Tod se leva encore plus tôt que d'habitude. Sa démarche pas très assurée et les cernes qui dessinaient le contour inférieur de ses yeux trahissaient sa fatigue. Il se rendit très rapidement au bureau du Comité sans attendre le réveil de Becky, de Max ou d'Auguste. Il feuilletait les journaux sur le siège arrière de sa voiture de fonction, une FM-101 qu'il aurait aimé changée, en parlant à haute voix. Son chauffeur hochait la tête de temps à autres se sentant le devoir de l'écouter.

- Alors, voyons ça.... "Korzeski provoque les députés"... qu'est-ce que c'est que ça enco... ah oui, je vois. C'est cette histoire de protection et de symboles. Font les malins parce qu'ils n'ont pas de responsabilités, mais s'ils devaient en avoir... Bon et ça ?...

Après avoir continué sa revue de presse, la voiture se gara devant le Comité de l'Intérieur et Tod en sortit avec les jambes qui flageolaient encore de fatigue. Il croisa Nina, lui fit un signe de tête et lui dit :
- Vous savez qu'il y a Morton chez moi ?
- Quoi ?
- Morton ? Max Morton ? Il a passé la nuit chez moi.
- Oui, je sais bien qui c'est. Mais pourquoi est-il chez vous ?
- Je crois qu'il vous cherchait.

Elle sourit en rougissant et changea immédiatement de conversation :
- Eva veut vous voir.
- Eva veut toujours me voir. Vous n'avez pas quelque chose pour moi que je ne sache déjà pas ?
- Léonard a appelé trois fois hier soir. Il se demandait quelle date vous aviez fixée ?
- Le 32 juillet. Autre chose ?
- Non.
- Très bien, merci Nina... Oh Nina, trouvez-moi la nouvelle constitution pryanne.
- Vous débutez une carrière dans les affaires étrangères ?

Il ne répondit pas à la boutade qui était une manière de demander "Pourquoi ?" et rentra dans son bureau.

Comme souvent, Eva avait obtenu gain de cause : Tod allait davantage communiquer. Pour le moment, pas de sortie pour rencontrer les "vrais gens" et leur apporter un soutien, mais une intervention télévisée. La dernière remontait déjà au 30 juin dernier, il sentait qu'il fallait rendre compte aux fantispais du travail accompli. C'était aussi une manière de répondre aux critiques qui venaient de l'opposition qui s'organisait de plus en plus. Ainsi donc, les caméras de télévision furent installées dans le bureau du Ministre. Ce dernier était assis sur son confortable fauteuil et consultait les notes de son intervention. Puis, vint le moment de passer à l'antenne.

Intervention télévisée du Ministre de l'Intérieur a écrit:

Mes chers compatriotes,

Je viens, en cette période estivale, vous rendre compte des activités de mon Comité sous la direction du Premier Ministre Victoria Brolodina. Vous le savez, le retour de la Principauté de Fantispa sur la scène micromondiale nous a amené à redéfinir les frontières du pays. Cette étape nous a conduit à envisager un travail cartographique du territoire national. Ce travail a aujourd'hui officiellement abouti à la publication de la carte physique de Fantispa. Cet aboutissement a permis de mieux connaître les distances entre nos villes que ce soit à vol d'oiseau ou vis les voies de communication. Ainsi, plusieurs projets vont pouvoir s'appuyer sur ces données pour voir le jour comme la loi sur l'économie actuellement au vote au Parlement ou le volet transport.

En parallèle à cette publication, mon Comité a l'honneur de publier la carte administrative du pays qui reprend l'ensemble des domaines de la Principauté. Ces domaines dessinent le contour de 13 circonscriptions. Celles-ci sont l'amorce d'une réforme électorale dont le gouvernement s'engagera dans les prochaines semaines.

Le travail accompli est déjà important. Et pourtant, il n'est pas fini. En effet, de nombreux projets attendent les services du Comité de l'Intérieur. Parmi eux, la mise en place d'un réseau de transport dans la Capitale et la création d'une agence de la statistique sont désormais nos priorités immédiates. Par ailleurs, je n'aurai de cesse d'assurer au mieux l'application des lois qui touchent de près le Comité. A l'image de mes collègues du gouvernement, même en cette période estivale, je reste concentré sur les objectifs qui m'ont été fixés.

Je vous remercie.

Le Ministre avait un peu privilégié la gestion des entreprises publiques qu'il dirige et était un peu moins présent au Ministère. Moins, mais toujours très présent ; divers travaux étaient en cours et il dirigeait les équipes en charge de ces projets. Néanmoins, il avait négligé l'AFIE et la DGRF. La seconde était dirigée par Clara Meyer qui semblait être en réserve de la Principauté. Il fallait intervenir au plus vite à ce sujet. Tod avait pris sa décision, la DGRF devait pouvoir être pleinement opérationnelle. Par ailleurs, le dépôt de plainte déposé par Albert Lesketer et rejeté par le tribuanl par une mise en demeure de l'AFIE poussait là aussi Tod à prendre une décision très claire et efficace. Il décida donc de publier le communiqué suivant :

Communiqué du Comité de l'Intérieur a écrit:

Mme Clara Meyer, directrice de la DGRF, est officiellement démise de ses fonctions. Fantispa lui est reconnaissant des services rendus à la tête de ce service. Dans l'objectif d'assurer le fonctionnement normal de la DGRF, le Ministre de l'Intérieur, Tod Ruffin, devient le directeur par intérim de la DGRF jusqu'à la nomination d'un nouveau directeur.
En outre, étant donné la vacance touchant le poste de directeur de l'AFIE, le Ministre de l'Intérieur, prend également la direction par intérim de l'agence jusqu'à ce qu'un nouveau directeur soit nommé.

Du travail supplémentaire l'attendait, il décida donc de mettre le dernier FantInfo de côté - qui mettait en valeur les bons résultats actuels des équipes fantispaises - et retroussa ses manches.

- Qu'est-ce que vous ne comprenez pas dans "Enlevez la seconde partie du communiqué Eglantine ? pesta Tod, un rictus de colère sur le visage.

La jeune stagiaire se décomposait. Les larmes aux yeux, elle tentait de trouver les meilleurs mots :
- Je... je croyais que vous parliez de la partie qui...
- Eglantine, vous avez enlevé la mention habituelle des communiqués, bordel ! La signature !
- Oui, mais il me semblait...
- Moi, il me semblait que vous êtes une gourde ! Vous croyez quoi ? Qu'on communique anonymement ici ?

Cela en était trop, les larmes s'échappèrent et coulèrent le long des traits du visage de la jeune femme. Eva qui assistait à la scène sentait son coeur se serrer. Elle était consciente de la bévue de la stagiaire, mais le "savon" que lui passait Tod semblait démesuré.

- N... n... non snif... Monsieur.
- On a donc annoncé qu'on virait Julio de Fortia de l'AFIE et que je le remplaçais. Qu'est-ce que vous croyez qu'il va penser ? Surtout après le sale coup de Justin Brigant... Bravo ! Timing parfait !
- J... j... je suis désolée, snif...
- Moi aussi.

Tod se détourna et regarda par la fenêtre. Il était animé par la colère et ne commençait que à cet instant à comprendre la dureté de ses remontrances. Il soupira bruyamment, puis prit un papier et le tendit à Eglantine.
- Tenez ! Vous allez tenter de vous rattraper. Ceci est un communiqué rectificatif indiquant que Julio de Fortia reste à la tête de l'AFIE. Vous n'avez qu'à le corriger. Aucun passage à supprimer. Ca devrait donc aller... non ?
- Oui, Monsieur.
- Si vous êtes à la hauteur, j'envisagerai l'idée improbable de vous conserver au Comité.
- Merci Monsieur.
- Et arrêtez avec vos "Monsieur", j'ai l'impression d'avoir 70 ans !
- Oui M... heu merci.

Plusieurs boules de papier trônaient sur le bureau ministériel. D’autres gisaient sur le sol près de la poubelle. Les pieds sur le bureau, Tod malaxait une boule dans ses mains et ajusta son tir. Elle toucha le bord du panier, mais pencha du mauvais côté et échoua au sol. Eva fit son entrée – sans même frapper comme d’habitude – et s’immobilisa un instant. Puis, elle referma la porte et s’étonna :
- C’est ainsi que vous travaillez, je vous croyais débordé ?
- Pas envie. A quoi bon ?

Les sourcils d’Eva se froncèrent. La directrice de cabinet s’approcha et questionna à nouveau :
- Qu’est-ce que vous faites ?
- Cela n’y paraît pas, mais je réfléchis. Si, si, je vous assure.

Pas convaincue, Eva n’insista pas. Elle brandit un papier et reprit :
- Le tracé des deux lignes de tramway sont confirmés par les services techniques, même si la seconde est problématique.
- Bien.
- Votre loi portant sur la culture et plus précisément sur le développement médiatique sera adoptée. C’est une certitude.
- Bonne nouvelle.
- Et…
- Et ?
- Et des rumeurs circulent sur la nature politique du gouvernement…
- C’est-à-dire ?
- D’après Jean Baubinne, certaines voix semblent prétendre que le gouvernement est… anti-étrangers, replié sur lui-même et a peur des autres.
- Ah, tiens donc ! Donc communistes et… racistes ! On cumule !? ironisa Tod. Et qu’est-ce qui nous vaut cette fois-ci cette conclusion si bien « réfléchie ».
- Eh bien… la loi sur l’économie.

Tod balança une boule totalement à côté du panier. Il grimaça.
- Il faut bien admettre que la propagande des grands industriels est hyper efficace. Alors que cette loi concerne tout le monde – fantispais, pryans et maintenant krasslandais, brefs tous ceux qui effectuent des transactions sur le sol fantispais – ils ont réussi à faire croire que c’était une loi anti-pryans, anti-étrangers… comme je l’avais déjà suspecté !
- Propagande ? Vous n’y allez pas un peu fort ?
- Ecoutez, il y a deux jours, je vous aurai dit « oui ». Aujourd’hui, je commence à me poser des questions. Alors que cette loi est juste là pour poser un prix « plancher » - Et non un prix fixe comme, là encore, ils essayent de le faire croire – pour que tout le monde – Je dis bien tout-le-mon-de sans distinction ni de race, ni de nationalité, ni de religion, ni de sexe – payent la taxe et ne se cachent pas derrière leur « groupe d’entreprises », affaiblissant les petites par leur concurrence déloyale, petites entreprises qui, elles, ne peuvent pas négocier à 1 $F leur approvisionnement, cette loi devient une loi communiste, raciste et une excuse pour créer un impôt – qui existe déjà et qui était simplement contourné.
- Oui, je suis bien d'accord. Mais parler de propagande voudrait dire qu’ils se sont organisés pour lutter contre cette loi.
- Bah ! Vous avez très probablement raison au fond. Ce n’est pas une organisation secrète de grands millionnaires qui entreprend de grandes manœuvres. Mais, les différents qualificatifs affublés plus grotesques les uns que les autres amènent au trouble.

Tod prit une nouvelle boule et ajusta son tir. Cette fois-ci, c’était un point gagnant.

- Je reste cependant surprise de ne pas vous voir au travail.
- Vous savez, toute cette histoire a au moins un mérite : me montrer que je me trompais sur la vision que je portais sur la politique. Bêtement, je croyais qu’il s’agissait de chercher le meilleur pour le bien commun. En vérité, dans le micromonde, politique rime avec protection de ses intérêts personnels.
- Que voulez-vous dire ?
- Je ne suis pas à ma place dans ce milieu peuplé de gens qui pensent qu’à leur pomme, à leur portefeuille et à leurs intérêts.
- Vous dîtes des bêtises, vous le savez mieux que moi, vous avez même des amis en politique !?

Tod balança encore une boule de papier qui entra de justesse dans la poubelle. Son regard était éteint.

- Tod, vous me donnez l’impression de ne pas tout me dire. Je suis votre plus proche collaboratrice, je dois tout savoir.

Il lui jeta un regard amical et las.
- Eva, rendez-moi un service, envoyez un petit mot de prompt rétablissement à Marc… enfin à l’ambassadeur pryan.

Eva soupira. L’absence de réponses claires à ses dernières questions déclencha en elle un signal d’alarme. Elle avait le flair pour ce genre de choses. Elle serra les dents et voulut tenter sa chance à nouveau. Elle ouvrit la bouche alors qu’une nouvelle boule de papier faisait mouche. Finalement, elle ne dit rien et sortit du bureau sans se retourner. Un instant, elle songea à donner un coup de fil à Rébecca pour savoir si elle en savait plus. Mais elle y renonça tant la démarche pourrait déplaire.

- Je vous l'avais dit Eva !
- Quoi ? Que j'aurais dû prendre un chemisier bleu ?
- Non, qu'il s'agissait d'une propagande.
- Vous n'allez pas recommencer avec ça Tod !
- Ah ? Vous n'avez donc pas vu la dernière dépêche de l'APP, l'Agence Pour la Propagande du magouilleur Duvalon ?
- Quelle dépêche ? L'APP lui appartient ?
- Tenez, lisez ! Ca vaut son pesant de noix de coco ! Bien sûr que ça lui appartient... enfin, il prend bien garde de se cacher derrière. Pensez ! On peut d'ailleurs se demander comment il a pu amasser une telle fortune en si peu de temps... Il faut dire qu'à une époque, il était Président et émettait des appels d'offres qui tombaient comme par magie dans l'escarcelle de ses entreprises... Quand il parle de marchés truqués, il s'y connait !
- Je m'en fous de son pédigrée. Que comptez-vous faire concernant cette dépêche ?
- Ce qui m'inquiète, c'est que ni Victoria, ni le Prince ne réagisse. Ils ne semblent pas prendre conscience de la fausse mauvaise publicité qui se fait sur le dos de Fantispa parce que des couillons sont agacés de perdre du pognon.
- Contactez-les et demandez leur de réagir.
- J'y ai songé. Et je pense que s'ils ne le font pas, c'est parce qu'ils ont jugé bon de ne pas le faire.
- Et ?
- Et bien puisque les fantispais sont des dictateurs, des racketteurs, des créateurs d'impôt - qui existe déjà !!! - des empêcheurs d'entreprendre, des racistes, etc, etc, je vous en passe, je vais demander la suspension à durée indéterminée du traité commercial avec Prya et donc des échanges économique avec eux tant que les pryans ne seront pas capables de respecter notre souveraineté. En outre, s'ils jugent que nous sommes infréquentables, le traité sera rangé aux oubliettes. Nous iront commercer avec les krasslandais et nous développerons tranquillement notre économie.
- Vous n'y pensez pas Tod !
- Et pourquoi pas ? Après tout, j'ai toujours dit qu'il fallait éviter les organisations internationales parce qu'elles sont peuplées de gens tournés sur leur nombril. Je n'avais juste pas compris que cela était vrai pour les échanges économiques. Les pryans ont peur de payer des taxes à Fantispa... Eh bien, je propose qu'ils ne dépensent plus un sou à Fantispa. Une fois qu'ils auront plus accès à tout les énormes marchés que le gouvernement suscite et puisque la seule chose qui compte, c'est leur portefeuille, ils seront persuadés "qu'ouvrir à nouveau nos économies est une nécessité pour le bien de nos peuples, blablabla"...

Après six mois à la tête du Comité de l'Intérieur, Tod devait faire ses cartons et laisser place nette au futur Ministre de l'Intérieur. Une certaine mélancolie l'avait attrapé. Elle l'avait saisi comme une poupée de chiffon et faisait de lui ce qu'elle voulait. Il réussit enfin à s'en défaire en sortant des murs du Comité. Il avait passé tant de temps à plancher sur les dossiers que ce lieu en était devenu un symbole d'anxiété et de fatigue. Pourquoi être une proie si facile à la mélancolie alors ? Sans doute parce que le travail qui en avait résulté servait Fantispa. Il n'avait aucun remord. Peut être des regrets. Il salua les salariés de l'administration. Certains n'étaient restés que des visages sans nom, d'autres des connaissances. En outre, il laissa un petit mot sur le bureau désormais désencombré.

"M. le Ministre,
Je vous félicite à nouveau pour votre nomination et vous souhaite pleine réussite. Je vous confirme que je reste disposé à terminer le travail de finition du réseau de transport de Sorlop. Pour cela, j'attends votre confirmation de la volonté gouvernementale de conserver ce projet.
En attendant votre réponse, je vous transmets mes salutations."

Puis, Tod se dirigea sur le perron et attendit l'arrivée du Ministre Merzek pour la passation des pouvoirs. Un symbole républicain que Tod ne négligea pas.

Rachid arriva à son tour. Il rejoignit Tod. Les photographes présents prirent quelques photos, puis les deux hommes se rendirent à l'intérieur du bâtiment. 1h30 plus tard, ils ressortirent. Un micro avait été installé entretemps pour leur permettre de s'exprimer.
C'est le nouveau Ministre qui prit la parole.
Mesdames, Messieurs,
Après avoir travaillé plusieurs mois sous la tutelle de M. Ruffin aux transports, c'est avec un grand plaisir que je prends sa succession. Je sais que je vais trouver tout en ordre de marche et que le Comité de l'Intérieur est une machine qui avancera toujours bien quelque soit son commandant.
Nous avons échangé avec M. Ruffin et il va continuer de travailler pour le Comité en qualité de consultant pour la mise en place du réseau de transport de Sorlop. Et il sera donc amené à revenir dans ces locaux souvent et pas seulement pour terminer le stock de chips aux al...(Tod toussota tout en voyant le regard assassin de Rébecca) euh, je voulais dire pour terminer le réglement sur le contrôle de l'exportation des algues.

Puis il céda sa place au micro pour Tod.

L'ancien Ministre fit face à l'assistance. Rébecca faisait une moue qu'il ne sut interpréter. Il se reconcentra sur sa mission : accueillir Merzek et lui passer le flambeau.

- M. le Ministre, cher Rachid. Je connais la tâche qui vous incombe désormais et je sais que vous en serez digne. Je ne vous cache pas qu'il est plus facile pour moi, sinon agréable, de transmettre les clefs des lieux à vous qu'à des inconnus. Vous le savez, les responsabilités de la fonction sont lourdes, mais gratifiantes. Il a été pour moi un honneur de l'occuper et de servir au mieux la Principauté. Je finirai le travail débuté sur le projet sorlopien de transport. Cette contribution sera gracieuse et je l'accomplirai avec joie. Ce service à la nation terminé, le gouvernement de Julio.... de Fortia auquel vous appartenez Rachid, aura tout le loisir d'exécuter la mise en place de ce projet. Cette dernière contribution, hum... en plus du règlement sur l'exportation des algues..., ne m'engage pas dans la politique qui sera menée.
Rachid, je vous souhaite autant de satisfaction dans ces lieux que j'en ai trouvé. A bientôt M. le Ministre.

Trop long comme d'habitude, Tod avait décidé de procéder à des grandes coupes dans son discours. Il serra un long moment la main de Rachid, en lui glissant quelques mots discrets "...prendrai.... les paquets... jours qui ..." Puis, il s'en alla rejoindre Becky. Fini la voiture de fonction avec chauffeur - un privilège qui manquait déjà à Tod, ils leur faudraient rentrer par leurs propres moyens.