Réflexions groupées

Il fallait se rendre à l’évidence ; l’appareil politique fantispais était verrouillé. Même les groupes de réflexions étaient contrôlés et conditionnés par l’acceptation d’un Duc. Difficile dans ces conditions d’avoir une parole franche. Il n’en était pas moins que Fantispa était une démocratie qu’il le devait en partie à l’attitude compréhensive du Prince. Et si l’un de ses successeurs l’était beaucoup moins ? Tod n’était pas certain que le régime bascule sans trop de difficulté dans l’autoritarisme.

Quelles étaient les perspectives politique pour un citoyen lambda ? Rêver d’une entrée au gouvernement passait forcément par la case « Ducale ». Et pour atteindre cette case-là, il fallait mieux être dans les bons papiers du Prince. Autant dire ne pas faire de vague ou pas trop. Exercer une forme de pression par un parti politique était impossible puisque ces derniers étaient simplement interdits. Il ne restait plus que les groupes de réflexions assujettis aux impôts et au bon vouloir des Ducs – et donc du Prince – Ainsi, cette dernière option semblait être l’unique option qui avait une petite chance d’aboutir. Par chance, il se trouvait que deux Ducs figuraient dans le carnet d’adresse de Tod. S’ils étaient proches, ils ne lui permettraient pas semer la zizanie avec un groupe de réflexion. Pourtant, il n’aurait pas d’autre choix que de les contacter afin d’obtenir de l’un d’entre eux au moins, leur assentiment. Que risquait-il de toute manière ? Il se devait de tenter sa chance. Après tout, la Principauté n’était pas connue pour bâillonner les voix des opposants ou des manifestants.

Par ailleurs, l’espoir subsistait dans l’esprit de Tod de trouver dans la future constitution des conditions plus prospères à l’expression citoyenne. Cela devait d’ailleurs être le cœur de ses futurs préoccupation au sein de son possible futur groupe de réflexion.

Max venait de rentrer d'une mission au Mazambala, il lui fallait encore rédigé les conclusions de cette mission.
Habitant toujours chez Julio, apparemment celui-ci n'était pas rentré accompagnait toujours le Prince.

Il décida de sortir marcher dans sa nouvelle ville, et pourquoi pas se remettre à chercher un logement.

Après une petite heure à vadrouiller dans les petites rues de Tétaou, qu'il trouvait d'ailleurs bien trop touristique à son gout, il se dit qu'un retour dans une petite ville ne serait pas un mal, puis il vit une silhouette familière au loin.
Tod, apparemment perdu dans ses pensées.

Il s'approcha et le salua.

-Bonjour Tod, comment vas tu ?
Puis il pensa au même moment que Tod était encore dans un foyer de l'AFIE avec sa femme et son fils, quelle question stupide. Il reprit.
Je sais que ça n'est pas très facile en ce moment, mais je pense que dans le courant du mois de septembre la situation générale devrait s'améliorer et le système devrait repartir.
Nous avons du pas mal voyager et discuter autour de la suite à donner à la politique générale de Fantispa et nous avons eu un afflux imprévus de citoyens.
Je regrette que nous n'ayons pas mieux gérer.

Mais je pense que tu retrouveras très rapidement un emploi pour t'installer l’administration et les entreprises en redémarrant vous redemandez une main d'oeuvre folle.

Quelle surprise ! Max ne se doutait probablement pas qu’il tombait à pic. D’un geste vif, Tod froissa une feuille et l’enfonça négligemment dans sa poche. Rien ne se déroulait comme il l’avait prévu ; Il avait pensé qu’il trouverait une activité professionnelle très rapidement, il pensait pouvoir s’installer dans un appartement cossu de la capitale, il pensait pouvoir prendre ses marques dans la vie politique, il pensait constituer son réseau de connaissances efficacement. Mais rien n’avait été fait. En cause, ses indisponibilités régulières et un cadre de vie difficile à vivre lorsque vous avez besoin de calme – Il ne pouvait s’isoler dans son bureau comme il le faisait régulièrement à Tindali – Naturellement, la paralysie de l’administration n’aidait pas non plus.

- Bonjour Max ! Je suis désolé, je suis très songeur... et très fatigué. Auguste a décidé de raccourcir ses nuits et les miennes par voie de conséquence. Becky exige de moi que je m’occupe davantage de lui comme je le faisais ces dernières semaines. Pourtant, ce n’est plus vraiment possible. Ce n’est pas compatible avec une reprise d’une vie publique.

Tod pinça ses lèvres. Quoi faire ? Profitez de cette rencontre pour parler à Max… enfin à M. le Duc de son projet ? Attendre l’instauration de la nouvelle constitution ? Intervenir comme un électron libre au risque d’avoir des ennuis avec les institutions ?

- Oh Max, ne t’inquiète pas. Je suis totalement conscient des imprévus auxquels nos institutions doivent faire face. Tout ce qui doit changer ne peut pas l’être en un claquement de doigt. Néanmoins, il est vrai que la vie au foyer de l’AFIE n’est pas une sinécure, surtout avec un mioche dans les pattes. Ah et figure-toi que ma mère nous a ramené Sharkie ! Et oui ! Merveilleux n’est-ce pas ? Il a trouvé le moyen de déféquer dans mes chaussures. Ca n’aurait pas été grave si je m’en étais rendu compte avant de tenter de les enfiler… hum.

Il était maintenant évident que Tod devrait travailler ce genre de situation ; Parler avec un responsable politique demandait un peu d’agilité verbale notamment sur un sujet aussi délicat. Et Tod ne savait pas comment aborder le sujet. Il inspira et se lança dans le vide, l’inconnu.

- Dis-moi Max, je m’adresse au Duc, je souhaite voir éclore un groupe de réflexion. Il se trouve que j’ai besoin de l’accord d’un Duc dans cette perspective. Il est bien difficile de définir la ligne directrice de ce groupe étant donné qu’il s’agit surtout de mettre sur la table n’importe quel sujet sur la table et de débattre entre participants. Mais je souhaite que ce groupe soit un poil à gratter. Evidemment l’éclosion de la future constitution va probablement rendre ce groupe obsolète. Qu’en penses-tu ?

Ouf ! Cela été fait. Mal fait, mais le problème était exposé. Même de façon informelle, c’était toujours une bonne chose.

Autant qu’il s’en souvenait, Max avait éludé sa question concernant sa volonté de voir éclore un groupe de réflexion. Que devait-il en conclure ? Qu’il n’avait pas le temps pour les bavardages ? Qu’il n’était pas favorable à ce groupe de réflexion ? Qu’il désirait en parler plus en profondeur une autre fois ? Bien difficile à dire. Cependant, il sembla à Tod que ce silence n’était pas innocent. Tout en lui cherchant une explication et tout en y arrivant pas à ces fins, il sentait bien le souffle du renouveau s’estomper, s’évanouir dans un lointain brouillard d’espoirs aux formes vaporeuses. Il fallait réagir et le plus rapidement possible.

Il lâcha sa main sur la petite table de la chambre que sa famille et lui occupaient au foyer de l’AFIE, ce qui fit sursauter Auguste qui s’amusait à déchirer les pages d’un de ses livres. Les yeux de Becky s’arrondirent, mais elle resta silencieuse. Auguste retint son souffle, croyant qu’il aurait le droit à une rouste pour le carnage qu’il était en train de commettre. Tod sortit une feuille vierge de son livret et commença à griffonner quelques mots. Becky continua à le regarder. Elle le sentait préoccuper depuis plusieurs jours. Quant à Auguste, il reprit gaiement ses activités ravageuses avec des gazouillis de contentements. De ce travail d’écriture en sortit cette lettre :

« A Julio De Fortia, M. le Duc de Tispana,

Il ne fait certainement plus de doute pour vous sur mes intentions de contribuer au long et difficile redressement de notre pays. Un travail qui doit – j’en suis persuadé – être l’affaire de tous, chacun à son niveau. Il m’apparaît aujourd’hui que l’élan de ce redressement, lancé notamment par notre Prince Zygmunt 1er, s’essouffle et se perd dans les méandres de l’histoire. Pourtant, ce formidable souffle d’espoir avait suscité un grand intérêt dans la communauté internationale et nationale. C'est pourquoi, je pense qu'il faille soutenir ce renouveau. Ainsi, je souhaite obtenir votre assentiment au sujet de la création du Groupe de Réflexion sur l’Avenir et la Démocratie (GRAD). En effet, je souhaite que ce nouveau groupe de réflexion s’installe à Tétaou. Le GRAD a vocation à dénoncer toutes les inégalités, les injustices, l’autoritarisme et la tyrannie et donc à promouvoir les principes démocratiques. Le GRAD souhaite que chaque citoyen puisse se faire entendre par nos gouvernants et la maison princière et donc facilités l’énonciation des envies, des attentes et des droits du peuple fantispais.

Il est évident que mon ambition est d’accompagner Fantispa dans sa future configuration apporté par les changements initiés par le Prince et le Conseil Ducal.

Je souhaite vivement que vous répondiez favorablement à ma requête, même si le GRAD ne résoudra pas tout, il peut contribuer à ouvrir de nouvelles voies.

Je vous prie de croire M. le Duc de Tispana à mes meilleurs sentiments les plus chaleureux.

Tod Ruffin »

Tod fut surpris de la facilité avec laquelle il avait écrit cette lettre. L’inquiétude l’avait probablement conduit à rassembler le maximum de ces capacités pour être clair. Mais l’avait-il vraiment été ? Il serait vite fixé par le biais de la réponse de Julio. Il s’enfonça dans sa chaise et détourna son regard pensif.

- Nom d’un cocotier !! Auguste ! Qu’est-ce que c’est que ce bordel ? Regarde dans quel état tu as mis ton livre ! Bon sang de bon sang.
- Woooouuuiinnnnnnnn
- Ah ! C’est reparti, le saule pleureur est en route.