Retour de l'ambassadeur pryan

La voiture diplomatique s’arrêta à proximité du Palais de Sorlop. Tod en descendit fébrilement. Ses jambes menaçaient de le lâcher. La tension, qui montait naturellement à l’approche de rendez-vous si important, privait Tod de tout sourire. Il s’en rendit compte et prit un grand bol d’air afin de se détendre.

Il se présenta à l’entrée du bâtiment en compagnie de son chauffeur.

- Je souhaiterais obtenir une brève entrevue avec le Prince selon ses convenances.

Après avoir expliqué sa présence au Palais du Prince qu’il venait rencontrer, Tod remit à nouveau sa cravate en ordre, presque comme un réflexe.

La même tension, le même intendant, le même couloir. Tod avait l’impression que quelqu’un s’était amusé à rembobiner la bande de sa vie et qu’il revivait le mois d’octobre 2008 lorsqu’il était venu rencontrer le Prince.

Tod réajusta une dernière fois sa cravate mauve d’un mauvais goût certain. Il se passa machinalement la main dans ses cheveux et pinça ses lèvres avant de rentrer dans la pièce.

- Votre Altesse, je suis ravie de vous revoir. Je vous remercie de me recevoir si promptement.

Tod resta debout et continua consciencieusement à exposer ce qu’il avait à dire, ce qu’il se devait absolument de dire.

- Je tiens tout d’abord à vous présenter mes sincères excuses. Je n’ai pas eu l’occasion de vous faire part en personne de mon départ de l’ambassade en octobre dernier. C’était fort discourtois.

Tod venait probablement d’aborder la partie la plus difficile de l’entretien.

- Ce départ n’était en rien lié à la Principauté et aux liens qui unissent nos deux pays.

Le nouvel ambassadeur ne voulait pas trop s’attarder sur ce point. Il continua donc.

- M. le Président Morton et le Ministre des Affaires Etrangères, Stan Camelinni m’ont nommé ambassadeur ici même comme vous le savez très probablement. Je serai donc ravi d’occuper à nouveau cette fonction, si bien sur vous n’y voyez aucune contrainte.

-Monsieur Ruffin, je dois vous dire que j'ai été quelques peu déçu lorsque vous êtes parti. Pas seulement par votre absence en Fantispa, mais aussi par le fait que Prya n'est plus de représentant ici.

En effet, Fantispa a toujours considéré Prya comme une nation amie voire davantage. J'espère de tout coeur que votre présence ici va permettre de renouer les liens qui unissent nos deux nations.

Je crois d'ailleurs que le Duc de Fortia par l'intermédiaire de sa société la CTF souhaite aller plus loin dans ces relations en créant des liens structurels et économiques.

A ce moment là, le Prince qui avait fini sa phrase en se tournant vers une fenêtre donnant sur le parc du château interpela Tod.
Souhaitez vous boire quelque chose? Vous m'avez l'air dans un drôle d'état.

- Croyez bien votre Altesse que les autorités pryannes sont peinées de constater le faible contingent de nos diplomates. C’est un fléau dont nous souffrions presque plus. Mais depuis quatre-cinq mois, l’EcoDémocratie est de nouveau confrontée à cette difficulté. Nous sommes heureux de pouvoir pallier cette anomalie auprès de l’un de nos plus vieux et l’un de nos meilleurs amis – sinon le meilleur – Je suis l’un des rares ambassadeurs pryan détachés à l’étranger et il est tout naturel que ce soit à Fantispa.

Tod s’amusa à penser que les mécanismes de la diplomatie ressemblait au beach-volley ; la technique revenait naturellement au galop. Il suffisait de pratiquer pour retrouver ses sensations. C’était d’ailleurs plutôt agréable. Mais il ne devait pas se relâcher et devait maintenir sa concentration.

- Quelque chose à boire ? … Cela est une bonne idée, mais à condition que vous m’accompagniez votre altesse. Votre proposition sera la mienne.

La longueur de ses prises de paroles lui donnait soif et il tombait bien que le Prince lui propose quelque chose à boire. Cependant, que le Prince lui trouve un drôle d’air ne le rassura pas. Il n’était donc pas suffisamment naturel. Il devait donc s’expliquer.

- Oh, permettez-moi d’être très franc comme à mon habitude. vous savez, j’ai perdu un peu l’habitude de ce genre d’exercice qu’il ne serait pas… mmh… agréable de mal abordé. Et puis, le voyage en avion n’a pas été de tout repos pour mon estomac. A ce propos, la CTF pourrait me faciliter la vie comme à beaucoup de touristes en reliant la Province de Tindali à la Principauté par la voie marine. Je pourrais interagir auprès du Gouverneur de Tindali si vous le souhaitez afin d’accélérer les discussions qui semblent s’embourber.

Tod jeta un œil furtif sur ses notes. Il remarqua qu’il devait absolument aborder un point essentiel.

- Votre Altesse, vous n’êtes pas sans ignorer que la Capitale pryanne accueille une Conférence micromondiale dans la droite lignée de celle de l’année dernière. Puis-je connaître vos intentions à ce sujet ?

Tout en se retournant le Prince reprit :

Il est vrai qu'apparemment les autorités de Tindali n'ont pas encore donné leur position sur la possibilité d'ouvrir cette ligne. Si vous pouvez leur mettre un peu de pression ce ne pourrait qu'être utile.

Puis il ouvrit un petit placard secret et en sortit une drôle de bouteille.
Et bien nous boirons un peu d'une goutte qui me vient de Port Vartais. Vous m'en direz des nouvelles.

Le Prince versa l'alcool dans les verres. Si Tod avait bu auparavant, il penserait avoir des hallucinations. Mais l'alcool qui était versé semblait réduire l'épaisseur des verres.

Il faut boire cul sec, car sinon le liquide s'étale par terre.

Pour la Conférence de Kaora, je vais m'y rendre personnellement pour y défendre la vision fantispaise du micromonde, à savoir une union de nations collaborant entre elle sur plusieurs plans : économie, éducation, transport...

Cela ne pose aucun inconvénient. Je me rendrai au Palais du Gouverneur afin d’obtenir des assurances ou au moins des réponses.

Puis le Prince sortit sa bouteille qui sortait du commun des mortels. De la goutte ? A son aspect, cela ne faisait guère de doute en effet. Tod avala sa salive et se demandait s’il saurait encaisser le choc. La précision de Zygmunt 1er venait confirmer que la chose serait rude. Heureusement, il avait de l'expérience avec la Spéciale, mais il doutait que celle-ci tienne la comparaison avec cette liqueur.

- Cul sec ? Soit. Et bien, je lève mon verre à l’amitié éternelle entre nos deux peuples, mais aussi à vous et à vos futures vacances votre Altesse.

Tod hésita une seconde, mais il était bien trop tard pour faire marche arrière. Il avala le liquide qui ne manqua pas de brûler sa trachée. Il toussota et frappa du pied au sol.

- Hech, hech, hech… hum… Pardon. Elle ne manque pas de caractère. Ca requinquerait un mort... hum.

« Votre proposition sera la mienne » Mais quel imbécile il était. Il aurait du se contenter de demander un verre d’eau. Ses oreilles commençaient être embarrassées par un bruit sourd qui venait simplement de lui. Ses tympans devaient peu apprécier cette goutte-là.

- J’ai cru comprendre au détour d’une conversation avec le Duc de Tispana que la CTF souhaitait également redonner un coup d’accélérateur à la modernisation de la Principauté avec la construction de deux voies ferrées. Les entreprises pryannes seront peut être au rendez-vous comme les entreprises fantispaises devraient être au rendez-vous qui constituera bientôt le chantier du TransPrya. Ca serait le symbole d’une ouverture des économies totalement réussie.

Tod posa son verre en priant tous les dieux du Micromonde que le Prince n’ait l’idée de lui proposer un autre verre. Dans ce but, il continua son échange avec le Prince.

- Avez-vous des nouvelles de Madame Brolodina ? L’Université pryanne devrait probablement vivre des changements profonds et je voulais savoir quelle était l’actualité de l’Université fantispaise.

Le Prince rigola discrétement quand il vit Tod avalait le verre. Il prit lui même son verre et le but d'une traite. L'odeur de poisson qu'avait cet alcool était vraiment hors du commun.

En effet, nous avons de nombreux problèmes sur la gestion de nos transports. C'est pourquoi j'ai missionné la CTF pour réorganiser tout cela de manière plus claire et plus pratique. Nous allons ainsi créer des pôles multi-modaux : train, bateau, avion pour faciliter les échanges.

J'espère bien sûr que les entreprises pryannes se joindront aux projets, car nous aurons besoin de beaucoup de matières premières pour éxécuter les travaux dans les délais les plus courts.

En ce qui concerne Mlle Brolodina, celle-ci a eu récemment des problèmes de santé, mais elle essaye de suivre au mieux les travaux effectuées à l'Université de Kaora. Je suis sûr qu'elle pourra vous rencontrer pour discuter de l'Université de Fantispa.

Je vois. Je serai un relais privilégié de ces échanges, de ces éventuelles collaboration. Je serai peut être aidé par M. De Fortia dont la présence est importante.

J’espère que Mademoiselle Brolodina se rétablira de ces quelques ennuis que je souhaite passagers.

Je crois votre Altesse que nous avons fait le tour des sujets brûlants de l’actualité. Je reste très naturellement à votre disposition si vous le jugez nécessaire, je répondrai à toute convocation bien entendu.

Je vous promets d’interagir auprès du Gouverneur de Tindali.

Je ne vais pas mobiliser davantage de votre précieux temps à moins que vous souhaitiez aborder d’autres points. Je vous souhaite un agréable séjour dans les montagnes fantispaises.

Ah euh, votre goutte était... heu... inoubliable, oui, c'est le mot, inoubliable.

Et bien vous en reprendrez bien un verre avant de partir, comme le veut la coutume dans les ports de pêche.

- La… la coutume… heu… huum… naturellement.

Tod inspira profondément. Il n’était qu’un double imbécile. Pourquoi allait-il fallu qu’il termine son intervention par cette référence à cette goutte. Une nouvelle fois, il porta sa main à son col, mais cette fois-ci, c’était pour desserrer légèrement sa cravate comme si cela allait l’aider à respirer. Respirer, c’est ce qui lui avait manqué en buvant la boisson princière. Il se sentit subitement une aversion totale pour la coutume. Pourquoi n'avait-il pas demandé un verre d'eau ?

Le Prince remplit généreusement les deux verres. Tod prit le sien et tenta d’imaginer une porte de sortie à cette situation. Il ne trouva que la possibilité de gagner du temps :

- Et bien, buvons votre Altesse, à la santé de M. De Fortia qui a tellement fait pour le rapprochement de nos deux pays. Il est réjouissant de voir un homme si compétent et droit diriger un gouvernement pryan et une Province fantispaise notamment.

Si Tod continuait sa déclaration, il allait finir par se voir qu’il tentait de gagner du temps avant le moment fatidique de se brûler la glotte.

Il avala son verre d’un coup sec et comme la première fois, il tapa du pied parterre encore un peu plus fort.

- Arrrrhhhhech… Nom d’un cocotier. Hecccchhh, heccchh… Ah vraiment, merveilleusement inoubliable.

Tod serrait son verre aussi fort qu’il le pouvait. Il tenta de lâcher encore quelques mots :

- V-vraiment inou-inou-inoubliable. Merci beau-beau-beaucoup de m’avoir reçu votre Altesse. C’était un plaisir incommensurable.

Et bien, Monsieur Ruffin, comme vous semblez l'apprécier, je vous offre une bouteille de très bon cru de cette Malissa de Port Vartais autrement connu sous le nom de Liqueur de Morue bouillie.

Tod prit la bouteille et sortit du bureau princier.

Est-ce que ses aigreurs d’estomac venaient de cette liqueur ou tout simplement du nom très évocateur de cette « boisson » ? Tod avait tendance à croire que cela venait des deux. Ces futurs visiteurs à l’ambassade devront se charger de vider cette bouteille. Tod s’en amuserait autant que le Prince avait du apprécier ce moment. D’ailleurs, sa gentillesse était à la hauteur l’odeur persistante de cette liqueur de Morue bouillue.

Tod quittait donc le Palais de Sorlop en faisant attention de ne pas tomber dans les marches d’escaliers. Il lui semblait que ceux-ci s’amusaient à bouger. Arrivé près de son véhicule, le chauffeur lui ouvra la porte, Tod se cogna la tête, puis la jambe et lança quelques grincements de douleurs. Il prendrait le temps de se reposer à l’ambassade avant de rentrer à Tindali.