[Série]: Les 12 Apôtres de la Mort (Episode 6)

(Résumé : l'entraînement se poursuit pour nos douze crapules. Mickey Lamb manque de tuer Pilgrimm lors d'un exercice...)


Chapitre 6


Plutôt nerveuse, le capitaine Sarah Quibble, du département « guerre psychologique » de l'ARI, arriva en vue du camp d'entraînement, tard dans l'après-midi. Elle y fit entrer son 4x4 noir de fonction, vit les prisonniers et demeura figée de surprise.

Le sergent Cannon l'annonça à Stratego.
- « Le capitaine Quibble pour vous, capitaine... »
- « Il y avait longtemps...Qu'est-ce qu'elle veut encore, celle-là... ? » bougonna l'agent spécial.
Il alla tout de même au devant de sa collègue, pour l'accueillir :
- « Quel bon vent vous amène ? »demanda-t-il, se voulant cordial. « Des précisions sur notre mission, j'espère ? ».
- « Non, rien encore...J'aimerai procéder sans plus tarder à quelques...expériences(elle savait que le terme hérissait le poil de l'agent spécial). J'espère que vous ne verrez pas d'inconvénients à ce que je rencontre vos « heureux élus ? »
- « Non, non...pourvu que vous ne les disséquiez pas trop...L'entraînement est loin d'être terminé, vous savez... J'ai besoin d'eux entiers...»
Sarah Quibble ne releva pas et enchaîna :
-«A propos, n'avez-vous pas besoin que l'on vous aide ? Il est évident que toute trace de discipline a disparu...»
-«Comment ça ? Qu'est-ce que vous racontez ?»
-"Je ne m'attendais pas à ce qu'ils soient absolument parfaits, mais je pensais qu'ils auraient la même apparence qu'au départ de la prison : propres, lavés, rasés....Mais là, on dirait des clochards..."
-"Ho...vous parlez de ça ? Mais ce n'est rien ! Attendez de sentir leur odeur..."
L'agent spécial expliqua alors à sa collègue du département "Guerre Psychologique" les raisons de leur tenue et les progrès de l'entraînement.
-"Sans en avoir l'air, ils commencent à agir et à penser en futurs membres d'un groupe de combat de l'ARI....L'esprit d'équipe leur vient, petit à petit : nous refusons de faire ceci, nous refusons de faire cela...c'est déjà ça. "
-"Merveilleux, merveilleux....Si vous parvenez à faire un ensemble de leurs attitudes négatives, le groupe peut arriver à représenter plus que la somme de chacun de ses éléments...Quelle bonne idée ce surnom des 12 Apôtres de la mort ! De l'excellente psychologie! J'ai dans l'idée de leur donner un motif de se battre pour une cause....A propos, vous avez une chambre pour moi ?"
Ludo Stratego se demanda comment une femme, toujours tirée à quatre épingles, pourrait s'adapter aux conditions de vie spartiates du camp. Désignant son bureau et le lit de camp :
-"Vous pourrez dormir ici, si vous le voulez. Je crois que vous serez confortablement installée."
-"Je ne voudrais pas vous chasser..."
-"Je ne dors pas ici."
-"Mais où donc ?"
-"Dehors, sous la tente, avec les détenus".
Sarah hésita une seconde avant de répondre :
-"Et bien, moi aussi ! Je vais planter ma tente. Pour observer à mon aise les progrès de votre groupe, il faut que j'en partage le plus possible les conditions de vie...jusqu'à un certain point !"
Bonne chance, alors, pensa Stratego.

De près, les prisonniers lui semblèrent encore plus effrayants. Leur journée de travail finie, ils dressaient leurs tentes et creusaient des tranchées pour se garder de la pluie. Elle refusa de partager le repas chaud des gardiens dans le baraquement, tenant à dîner des mêmes rations que les détenus.
-"Pas mal, commenta-t-elle en s'efforçant d'apprécier chaque bouchée de yodacake. Je ne vois pas de quoi ils se plaignent."
La pluie se mit à tomber.
-"J'espère que vous avez prévu cela", dit Stratego.
-"J'ai laissé mes affaires dans la voiture...Je reviens dans une minute."
-"Si vous avez apporté une tenue de combat, mieux vaut la mettre maintenant."
-"Pour dormir ?...."
-"Pas pour dormir, mais pour marcher. Le travail n'est pas fini." Stratego se retourna vers les hommes rassemblés dans la cour : "nous allons nous former en patrouille de nuit. Le capitaine Quibble, les gardiens et moi-mêmes, iront en observateurs pour vérifier que vous ne ferez pas les imbéciles et que vous résoudrez seuls les problèmes qui se présenteront à vous. Le but de cet exercice est de prouver votre aptitude à lire une carte et à vous servir d'une boussole".
Il étendit sur une table un plan détaillé des environs et montra du doigt une ligne rouge qu'il avait tracée sur du papier transparent :
-"Voici la route que vous allez prendre. L'objectif est de vérifier l'exactitude de la carte et de corriger les erreurs, s'il y en a. Stench commandera le groupe. Marchokrev, vous êtes le numéro 2 ; Colosseus, le numéro 3 : restez à l'arrière pour obliger vos camarades à forcer l'allure. Vous devriez être revenus dans moins de deux heures et demie", ajouta-t-il en consultant sa montre.
-"Je ne suis pas équipé, mon capitaine", dit Stench en montrant son poignet.
-"Puis-je emprunter votre montre ?"demanda Stratego à Sarah.
-"Certainement", répondit la jeune femme d'un air pincé, et d'un ton peu convaincu. Elle détacha le bracelet et tendit sa montre à Stratego, qui la passa à Stench.
-"C'est tout à fait hors de propos, capitaine, fit celui-ci après un moment d'hésitation ; mais où sont le sergent et les deux autres gardiens ? Sont-ils de sortie cette nuit ?"
-"C'est tout à fait hors de propos, en effet", répliqua Stratego. Se penchant vers Sarah, il lui murmura : "ne vous en faîtes pas pour votre montre...il a fait mieux que voler !"
-"Ha, et quoi donc ?"
-"Il a fait des copies...." Il lui tendit sa mitraillette : "vous savez vous en servir ?"
-"Non."
-"Bon. Mettez la toujours en bandoulière...ils n'y verront que du feu..."


"Chassez le naturel et il repart au galop"....Caché dans un fourré et regardant passer le dernier des détenus et des gardes, Vector Branko comprit combien ce proverbe était vrai...Il ne sut jamais si l'idée de prendre la tangente lui était brusquement venue parce que le moment paraissait opportun, ou s'il l'avait cachée et cultivée jusque-là à l'insue de son plein gré....Se trouvant momentanément seul, il fut surpris de voir à quel point il était possible de tirer sa révérence : se glisser dans un buisson, ou partir dans une direction opposée de celle de ses compagnons....simplement pour voir jusqu'où aller sans être pris. Personne ne semblait faire attention à lui : ils étaient dispersés en éventail, lui au milieu, le capitaine et les gardes loin à l'arrière sur les flancs...Même pris sur le fait, il pouvait toujours prétendre qu'il s'était perdu dans l'obscurité....Trébuchant dans la nuit sombre, sous le bruit de la pluie et aveuglé par le brouillard, il allait, savourant déjà sa victoire d'avoir réussi à se montrer plus malin que les autres....
Grandville le frappa si durement et si vite qu'il se trouva soudain étalé contre le sol, les dents pleine de boue et de graviers....Branko se releva péniblement et constata qu'il était entouré, outre son agresseur, par Colosseus et Marchokrev.
-"Tu nous veux tous nous renvoyer à la potence ?" demanda Grandville
-"Quoiqu'on fasse, on n'y coupe pas...."dit Branko en époussetant ses vêtements. "Tu marche avec les gars de l'ARI maintenant ? Tu as cru aux boniments de cette crapule de Stratego ? Viens avec moi et tu seras libre..."Il allait reprendre sa route quand Grandville lui barra le passage.
-"T'es pas fou, non ?" grogna Branko.
Pour toute réponse, l'yssois le frappa d'un coup de poing dans l'estomac. Branko tomba à genoux, plié en deux. Soufflant comme un phoque, il se releva à nouveau, avec plus de difficulté cette fois-ci. Haletant, il s'adressa aux trois :
-"Tout ceci n'est qu'un prétexte pour tous nous descendre, vous et moi ! Même ceux qui n'ont que des peines de prison ! Vous n'avez pas encore compris ? ". Brusquement, il s'échappa et se retrouva face à Colosseus qui l'étendit à terre d'un seul coup de poing.
-"Tu ne l'as pas tué, au moins ?" demanda anxieusement Marchokrev.
-"J'ai retenu le coup, cette fois-ci", dit fièrement le géant en mettant Branko inanimé sur son épaule.
En chemin, ils passèrent devant le sergent Cannon qui commenta, appuyé contre un arbre, la mitraillette à l'épaule :
-"Il a trébuché sur une racine, c'est ça ?"
-"Oui", répondit Grandville.

Sarah Quibble se tenait avec Stratego à l'entrée du camp, comptant les détenus : ils étaient bien là, tous.
-"Pas trop mal, fit Stratego en regardant sa montre...A condition qu'ils aient trouvé toutes les erreurs que j'avais glissées dans la carte." Prenant un pistolet à fusée, il tira en l'air pour rappeler le sergent et les deux gardes qu'il avait postés aux endroits-clés du parcours.
Dans le baraquement, Sarah suivit avec intérêt le rapport de Stench qui prit bien soin d'insister sur la bonne conduite des hommes et leur contribution aux corrections de la carte. Stratego leur permit de se détendre, de fumer et de bavarder. On fit circuler à la ronde du café chaud et des yodacakes.
Plus tard, les prisonniers couchés et la garde de nuit organisée, le capitaine Sarah Quibble, épuisée et mouillée, ne désirait rien d'autre que de prendre une douche chaude et dormir. C'est alors que Stratego lui dit : "bavardons, voulez-vous ?". Elle décida de ne rien laisser voir de sa fatigue.
-"Dites-moi, lui demanda Stratego, dans tout votre foutoir psychologico-social, y a-t-il un moyen pour vous de déceler l'innocence ?"
-"Vous avez droit à votre opinion, mais mon foutoir comme vous dites n'a rien d'un amusement...", répondit-elle vexée.
-"Ne m'en veuillez pas si je vous apparaîs frustre, mais répondez-moi : est-il possible de s'assurer si un type dit la vérité quand il persiste à se proclamer innocent d'un crime, même quand tout est contre lui ?"
-"Oui, mais ce n'est pas très concluant..."
-"Alors, faites tout ce que vous pouvez pour aller au fond du cas de Mickey Lamb."
-"Pourquoi lui ? Tous ont plaidé non-coupable à leur procès."
-"Ce n'était là qu'une formalité, tandis que Lamb continue à soutenir qu'il n'est pas coupable...Il emmerde tout le monde avec ça, d'ailleurs..."
-"Vous savez qu'il a avoué ?"
-"Oui, mais après des journées d'interrogatoire, et il s'est retracté...Je veux être sûr s'il a vraiment tué la fille, à l'ACY...Il faut qu'il le sache et qu'il affronte la réalité...Ma tâche en sera facilitée..."
-"Bon, si cela vous aide, je vais essayer..."
-"Avez-vous enfin une idée de la façon dont on utilisera mes hommes ? Savez-vous si les missions seront individuelles ou destinées au groupe entier ?"
-"Non. Vous avez toujours vos doutes en ce qui les concerne ?"
-"Des doutes ? Vous rigolez ? Si vous croyez que j'ai connu autre chose, depuis le début de cette histoire de dingue ! Ils évoluent et apprennent bien, certes, mais l'un d'eux peut à tout moment péter les plombs...Comment être sûrs d'eux ? Ce ne sont pas des types normaux ! Ce que nous leur faisons subir n'est ni une punition, ni une réhabilitation, et ils le savent ! Nous les utilisons, ils sont les sujets d'une sorte de...d'expérience ! Ils peuvent très bien se comporter pendant l'entraînement et déclarer forfait au moment de la mission...Si au moins je savais pourquoi je dois les entraîner..."
-"Voyons, répondit Sarah, je pourrais aussi essayer des tests pour mesurer leur capacité à obéir aux instructions lorsqu'ils seront sans surveillance..."
-"Bonne idée !" fit Stratego en cachant son irritation. "Mais je ne voudrais pas abuser de votre temps, j'ai un tour de garde à tirer à partir de 2 heures du matin. Je vais me coucher."
Et il la planta là.
-"Bonne nuit", dit Sarah à l'agent spécial qui ne lui présentait plus que son dos. Tout ce qu'elle pouvait maintenant s'offrir, c'était une bonne douche chaude, suivie vraisemblablement d'une pneumonie...Elle regrettait son intention de vouloir dormir sous la tente, sur le dur, pestant contre sa fierté...


(A suivre)