(Résumé : l'entraînement commence pour nos douze crapules. Refusant de se laver et de se raser, à l'initiative de Branko, nos "12" commencent à manifester les premiers signes d'un esprit de corps)
Chapitre 5
Pendant trois jours, Stratego les mena sans pitié. Les prisonniers en bavèrent, devant apprendre en quelques journées un programme qui nécessitait des semaines et des mois d’entraînement : marches forcées, escalades, manœuvres, gymnastique nocturne….Et quand ils désiraient se reposer, l’agent spécial leur infligeait des cours plus complexes, tels que lectures de cartes, emploi de la boussole, stratégie élémentaire et survie. Toutefois, Stratego ne leur avait pas encore permis de manier des armes à feu.
Quatre jours plus tard, le sergent Cannon se présenta un matin à la porte du bureau de Stratego et annonça :
-« Les Apôtres de la mort attendent votre bon plaisir, mon capitaine ».
-« Comment ? »
-« Les…hemm…Apôtres de la mort vous attendent, mon capitaine », répéta Cannon, craignant d’avoir été quelque peu familier avec son supérieur.
-« Ils vous ont entendu les appeler ainsi ? »
-« Je ne crois pas, mon capitaine ; c’était une boutade. J’espère que vous ne croyez pas que je les persécute… »
-« Si vous pensez que cela puisse les améliorer, vous pouvez les pousser à bout. Je les veux durs et mauvais. S’ils ne peuvent pas tenir ici, ils ne le pourront pas mieux là où ils iront…Les Apôtres de la mort ! Pas mal !…Cela leur va bien en tout cas…Avec leur apparence, puissent-ils faire peur, à défaut d’être efficaces ! »
Ils sortirent du baraquement et assistèrent à une scène désormais familière : un garde vint apporter un bidon d’eau aux prisonniers réunis dans la cour, leur donnant l’ordre de se laver. Léo Vance sortit alors du rang, prit le bidon et le vida sur le sol au milieu des rires. Ainsi, chaque jour on leur offrait la possibilité de se laver et de se raser ; chaque jour, ils refusaient. C’était là la seule indiscipline tolérée par Stratego.
Cannon les fit mettre au garde à vous. Le sérieux revint.
-« Je vous apprendre comment tuer un homme », leur dit Stratego. « Tuer à mains nues, et aussi à vous défendre, mêmes désarmés comme vous l’êtes maintenant, contre un agresseur deux fois plus grand que vous, Colosseus par exemple. »
Sur son ordre, Cannon apporta une énorme branche d’arbre. D’un seul coup, Stratego la brisa du revers de la main. Les « 12 » se regardèrent.
-« En peu de temps, n’importe lequel d’entre vous sera capable d’en faire autant. Vous mettrez à profit chaque occasion pour durcir le muscle extérieur de la paume : cognez-le contre toute surface dure qui s’offrira à vous…le sol par exemple, ou une planche de bois. Vous ne vous servirez de tout ce savoir que dans un certain but, et uniquement quand je vous le dirai. Le petit malin qui aurait la mauvaise idée de vouloir blesser volontairement un « ennemi personnel » pour régler ses comptes aura affaire à moi, c’est compris ? (Grandville, Branko et Pilgrimm regardèrent ailleurs, gênés). Maintenant, concentrons-nous sur les gestes de la défense. Colosseus, venez ici. »
Procuste se leva. Stratego lui tendit un poignard dans son étui, le manche dans sa direction.
-« Prenez-le, ce n’est qu’un exercice », ordonna Stratego d’un ton rassurant. « Allons, vous ne risquez rien, il est dans le fourreau… »
Le géant, mal à l’aise, prit le poignard. D’un coup sec, Stratego retira en même temps la gaine et la jeta dans les bras du sergent. Surpris, Procuste regarda stupidement la lame nue.
Stratego tourna autour du colosse.
-« Dîtes-moi…pourquoi avez-vous été condamné à mort ? »
-« Mais, mon capitaine…je vous l’ai déjà dit… »
-« Et bien, redites-le encore… »
-« Heu… »
Les autres intervinrent :
-« Qu’est-ce que tu as fait ? Dis-le ! » cria Workhaolic
-« Allez, mon grand, raconte-nous ta vie ! » fit Branko goguenard
-« Hé bien…un jour, je marchais dans la rue….et un type m’a bousculé….et comme je n’aime pas qu’on me bouscule, je lui ai filé une beigne…. »
-« Et comme ça, vous refroidissez un homme parce qu’il vous a bousculé ? » fit Stratego
-« Heu…je ne l’ai frappé qu’une fois… », bafouilla Colosseus
Stench eut un petit rire nerveux.
-« Rien qu’une fois, répéta Stratego, mais assez pour l’étendre sur le compte !....Dites-moi, si vous aviez à nouveau l’occasion de tuer un homme…vous le referiez ? »
-« Ben…si j’ai le choix… »
-« Vous n’avez pas le choix ! Vous avez un poignard à la main, et je suis devant vous, désarmé….que faites-vous ? allez, allez...»
-« Je ne sais pas...heu...»
-« Hé bien, je vais vous aider...ce n'est pas compliqué....vous allez gentiment me planter ce poignard dans le bide, c’est compris ? »
-« Je…..ne veux pas vous faire de mal, capitaine… »
-« Mais vous n’allez pas me faire mal ! C’est moi qui vais vous faire mal !....Allez, gros lard, attaque-moi ! »
-« Je…je ne veux pas d’ennui, moi… »
-« Alors, ça vient ? Il faut te bousculer pour te faire réagir ? Tiens, prends ça ! », dit Stratego en le poussant brusquement.
Voyant venir le vent, Milner donna un coup de coude à Stench.
Effrayé, le colosse bredouilla :
-« Arrêtez !... »
-« Tu me donne des ordres, maintenant ? Attaque-moi si tu ne veux pas que je t’envoie valser contre le mur ! » fit Stratego en continuant à le pousser, l’acculant vers le mur du baraquement.
Branko se redressa et hurla :
-« Crêve-le ! il l’aura cherché ! »
-« Vas-y ! Saigne-le, cet enfoiré ! », dit Salmonello.
Cannon se demanda où le capitaine voulait en venir. Il vérifia que son arme était prête à fonctionner, si besoin était…
Tétanisé, Colosseus se sentait harcelé par les poussées du capitaine et les cris de ses camarades.
-« Laissez-moi, capitaine ! Je vous préviens !...Ne me poussez pas à bout !.... »
Acculé contre le mur, il brandit son poignard en direction du capitaine :
-« Tu l’auras cherché ! Tu l’auras cherché !... », dit-il comme fou.
En un éclair, Stratego bloqua l’avant-bras qui tenait l’arme et renversa son adversaire. D’un coup de pied, il expédia le couteau à Cannon et immobilisa le colosse d’une clé dans le dos.
La tension retomba. Les prisonniers prirent un air déçu.
-« Colosseus ? Colosseus ? Vous m’entendez ?» Appella Stratego.
-« A vos ordres, mon capitaine… » répondit le géant d’une voix faible.
-« L’exercice est terminé. Je vous remercie. Vous pouvez rejoindre le groupe. »
L’agent spécial l’aida à se relever.
-« Vous savez…le jour où vous parviendrez à vous maîtriser, plus personne ne pourra vous enlever ce poignard… », dit-il
-« C’est juste, mon capitaine, je m’excuse… »
Stratego reprit le couteau, frappa le manche sur sa paume. Il jaugea les prisonniers, un à un :
-« Qui pense faire mieux ? Allez-y ! Grandville, ne voulez-vous pas profiter de l’occasion ? Et toi, Branko ? Tu as à te soulager de ta haine envers moi, non ? »
Personne ne bougea. Enfin, Bill Pilgrimm se leva, avec un sourire mauvais :
-« Dites à vos chiens de garde de reculer et de retenir leurs fusils. Je vais m’y prendre comme il faut…Tous témoigneront que c’était un accident…Vous êtes d’accord ? »
Stratego lui lança le couteau pour toute réponse. Le ledyen le prit, se courba et avança prudemment. Il tendit le bras pour parer à toute attaque, la main qui tenait le poignard prête à frapper.
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Stratego comprit là qu’il avait devant lui un adversaire extrêmement dangereux. Il se baissa pour prendre une poignée de terre : le ledyen suivit le mouvement. L’agent spécial changea alors de tactique. Quand les deux combattants ne furent plus séparés que d’une cinquantaine de centimètres, Stratego sauta en avant, se retourna vers la gauche, accrocha la cheville gauche de Pilgrimm, lui flanqua son pied droit dans la cuisse droite, et le fit basculer à la renverse, appuyant durement son talon sur le ventre de son adversaire. Pilgrimm laissa tomber la lame dans sa chute. Stratego ramassa le couteau et se pencha vers lui :
-« Ok, dit-il. Plus tard, quand tu iras mieux, tu pourras montrer ce truc à tes copains. Aidez-le, Cannon ! »
Pilgrimm avait repris son souffle. Tout s’était passé si vite qu’il ne comprenait pas ce qui avait pu lui arriver. Ce foutu capitaine n’avait pas pour lui que ses galons et sa belle gueule, c’était sûr ! Il se promit d’apprendre, afin de le battre un jour à son propre jeu.
L’agent spécial leur fit ensuite la démonstration de principes de base dans l’art de combattre sans arme, et de trois ruses défensives. Il ordonna à chacun de s’entraîner avec son partenaire de tente, choisissant de lutter avec Colosseus et laissant Branko avec le sergent. Mickey Lamb écouta avec une certaine appréhension. Il fut soulagé de se retrouver face à Milner pour l’exercice. Au signal d’attaque générale, Lamb attrapa le poignet de Milner plus fort qu’il ne le pensait et l’envoya par-dessus son épaule. L’autre s’écroula sur le sol, le souffle coupé. L’ancien sophiste à l’ACY se précipita pour l’aider, confus. Milner l’envoya valser à son tour, mais Lamb, qui s’y attendait, tomba bien et se releva dans les règles. Finalement, pensa-t-il, ce n’était pas si terrible que ça…
L’agent spécial les fit alors changer d’adversaire. Lamb sourit à Pilgrimm, son nouveau partenaire. L’autre lui rendit un regard furibard…
Stratego, alerté par des cris de douleurs, lâcha son adversaire et se précipita : Lamb sautait sur place, comme s’il avait le délire des Corybantes, pressant sa main sur le bas de sa colonne vertébrale.
-« Vous l’avez frappé aux reins, Pilgrimm ? » demanda Stratego, furieux.
-« Mais non, il a dû se cogner par inadvertance à mon coude… ou une autre maladresse de ce genre…Je ne faisais que m’entraîner, en suivant vos instructions, c’est tout…Je ne lui ai rien fait… »
-« Est-ce vrai, Lamb ? »
-« Je ne sais pas, mon capitaine », répondit l’autre en faisant la grimace. Il n’osait pas avouer qu’à chaque prise, Pilgrimm s’était montré de plus en plus brutal, par crainte d’inciter l’autre à se montrer plus méchant encore.
Stratego prit Lamb à part :
-« Je vous ai observé, tout à l’heure, toi et Milner. Vous faisiez semblant, n’est-ce pas ? »
-« Heuu…pas à chaque fois… »
-« Tu sais, cela ne te servira à rien de prendre des précautions pour ne pas te faire mal, surtout le jour où tu auras à défendre ta vie. Le gros ledyen te fait peur, n’est-ce pas ? Tu n’as pas à avoir honte d’avoir peur…Cela te met en éveil…Le tout est d’apprendre à t’en servir. »
Ils regagnèrent le groupe. Les prisonniers changèrent de partenaires et poursuivirent l’exercice.
Lamb tentait de se dégager de la prise de Grandville.
-« Je ne sais pas ce que le « grand homme » t’a dit, chuchota l’yssois, mais si tu veux battre ce fort en gueule, il faut que tu pense à quelque chose qui te fasse perdre la tête de rage…Et alors, prends-le par surprise…comme ceci… »
Croisant les mains, il le saisit au cou et fit un mouvement de cisailles, jusqu’à ce que Lamb, étourdi par la pression, eût compris…
A chaque changement de partenaire, l’ex-sophiste prit plus d’assurance, se sentant plus fort. Il se retrouva à nouveau en face de Pilgrimm. Celui-ci le provoqua, feignant un coup bas :
-« Tu n’as rien dans la culotte, mon p’tit gars…rien dans la culotte ! »
Pris de fureur, il se rappela tout : les mauvais souvenirs de son enfance, une humiliation subie en plein cours, à l’ACY, par son directeur-« vous n’avez rien dans la culotte, mon ami, rien dans la culotte »….les frustrations, la haine….
Lamb sembla émerger d’un long rêve. Il entendait une voix crier son nom. Des mains le tiraient en arrière. Il reconnu le capitaine.
-« Qu’est-ce qui t’a pris, crétin ? Tu aurais pu le tuer ! »
-« La tuer ? Je ne l’ai pas tuée…je ne sais pas ce qui s’est passé… »
-« Pas elle, imbécile…lui ! »
C’est alors que Lamb vit Pilgrimm étendu au sol. Cannon essayait de le ranimer. Les autres regardaient sans rien dire.
-« Faîtes-lui le bouche à bouche, sergent », proposa Léo Vance.
-« Cela te tente ? Tu veux ma place ? » dit Cannon agacé.
-« Non merci sergent….Sans façon… »
-« Qu’est-ce qui s’est passé ? »demanda Lamb
-« Tu l’étranglais, il s’est évanoui…tu l’as presque tué ! »
Soudain, il se rappela Pilgrimm…et l’étudiante à l’ACY…
-« Je suis innocent, pleura-t-il, je suis innocent ! Je suis innocent !!! »
(A suivre)
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